Pour les gens de ma région, c’est à dire dans les environs de Sorel-Tracy, qui souhaiteraient acheter un ou plus de mes romans, j’en ai quelques-uns de disponibles chez moi. Je sais que plusieurs n’aiment pas trop acheter en ligne, donc voici l’occasion de le faire en personne ($30.00 chaque). Ça vous évite de payer les frais de livraison et les taxes de vente 😉 Sans prétention, je peux même vous le dédicacer si vous le voulez. Vous n’avez qu’à m’écrire sur Messenger ou m’envoyer un courriel à [email protected]
Auteur : Izzy
Les sans-abri
Nous voyons de plus en plus de sans-abri, brisés par la vie, qui sont légitimement dans le besoin et qui n’arrivent pas à trouver un logement, vu la crise actuelle. Ils ne reçoivent aucune aide significative de la part de leur famille. Cependant, il ne faut pas toujours juger ces familles. Oui, certains sont trop centrés sur eux-mêmes pour voir à quel point l’un des leurs est dans marde, et ils ne réalisent pas qu’ils pourraient faire un effort concret pour les aider. Il y en a aussi qui sont eux-mêmes tout autant brisés par la vie, donc incapables de faire grand-chose. Ces sans-abri ont faim et auront bientôt très froid. Ce sont des êtres humains que beaucoup préfèrent chasser ailleurs, cacher, traiter de drogués plutôt que de leur offrir quelques dollars, un repas chaud, ou au moins un café, au cas où… Vous préférez croire qu’ils ne veulent pas s’aider, sans prendre le temps de vous demander pourquoi et comment ils en sont arrivés là.
Certes, certains sans-abri souffrent de problèmes de santé mentale et n’arrivent pas à vivre “comme tout le monde”. D’autres préfèrent vivre en marge d’une société qui ne leur convient pas. Certains ont simplement cherché à auto-médicamenter leur mal de vivre, et ont finit par déraper par surconsommation. Ce qui est important de retenir, c’est qu’ils ont tous une histoire, un vécu qui les a amenés à la rue, et la grande majorité n’y sont pas par choix.
Il y a aussi des individus malhonnêtes, comme on l’a vu récemment dans les médias, qui ont choisi de vivre en vagabonds, prétendent collecter des fonds, sans être appuyés par aucun organisme, et sans jamais redistribuer vos dons à qui de droit, ce qui est illégal. Certains ont plus d’argent dans leur compte en banque que la plupart de leurs donateurs. Bien sûr, ils ne conservent jamais plus de 5000 $, le montant maximum qu’ils peuvent avoir avant d’être coupés de l’aide sociale. Ils abusent du système, et ils abusent de la naïveté et de la générosité des gens en leur faisant croire qu’ils vont essayer de trouver un organisme pour redistribuer les fonds récoltés. Écoutez, si vous voulez faire un don pour une cause quelconque, faites-le directement ! Vous n’avez pas besoin d’un personnage douteux qui parcourt les rues du Canada et qui a choisi cette vie-là, pour cela. Si vous souhaitez entretenir un vagabond financièrement et en offrandes de matériels, ou de repas au restaurant, c’est votre choix, mais ne croyez surtout pas que vous donnez à une cause X parce que la seule personne qui en bénéficiera c’est l’individu lui-même. Ne laissez surtout pas ce genre d’individus malhonnêtes vous décourager d’aider les vraies personnes dans le besoin. Ils sont nombreux!
En terminant, j’aimerais vous inviter à vous joindre moi à l’évènement de sensibilisation et de solidarité à l’itinérance de La nuit des sans-abri de Sorel-Tracy, le 18 octobre au Carré royal de 18h à 22h. Il y aura kiosques, chansonniers, DJ, jeux gonflables, soupe populaire et plus! Apportez vos dons de vêtements chauds!
Je connais des gens…
Je connais des gens qui ont grandement souffert, et qui malgré ça, se sont battus jusqu’à leur dernier souffle contre le cancer, des gens bons, qui ont beaucoup aidé leurs prochains. Je connais des gens qui se battent actuellement contre ce maudit crabe, mais continuent à espérer et à rester positifs devant leurs proches, chassant la peur qui les tenaille, des gens bons également, qui ont fait une grande différence dans la vie de plusieurs. Des gens qui ont toujours été là pour moi. Des gens que je qualifie comme étant des gens d’exception.
Je connais un homme qui a souffert du cancer pendant huit longues années, et qui souffre encore des ravages que cette maladie a laissés derrière. Il ne chante pas. Il n’est pas une vedette. Il est simplement mon mari, qui a toujours été là pour moi à être mon aidant naturel, sans jamais rien demander en retour. Un fait cocasse c’est que pendant quelques mois dans le passé il a aussi été l’aidant naturel d’une vedette. Quand il décédera, dans très longtemps je l’espère, il n’y aura pas de fanfare ni trompette, pas de grand deuil collectif, pas de drapeau en berne, pas de rassemblement national, pas de médecin qui louange publiquement son patient, pas de politiciens qui se disent attristés par cette grande perte.
Il n’y a que les vedettes qui méritent cette admiration posthume sans borne il faut croire. Et pourtant, laissez-moi vous dire que j’ai mis ma tête sur son épaule assez souvent merci! Considérez ce texte comme étant mon hommage public à tous ceux que j’ai connus qui ont souffert du cancer, à ceux qui en souffrent en ce moment, à toutes les étoiles filantes qui ont perdu la vie à cause de cette maladie, et à ceux qui voient le grand rideau se refermer de plus en plus devant leurs yeux à l’heure actuelle, mais qui trouvent quand même le courage de sourire.
L’Halloween
Bon bien les décos d’Halloween vont devoir attendre. Nous étions censés décorer en fin de semaine, mais on ne trouve plus nos petites clôtures et pierres tombales pour faire notre traditionnel cimetière. J’ai donc décidé d’acheter d’autres décos. Ça va faire changement. Et les anciennes, on les retrouvera probablement quand les nouvelles seront posées. C’est bien souvent de même… Ah oui! Les petits sacs de friandises sont prêts à donner à vos petits monstres. Aux plus petits, vous leur direz que je suis une sorcière gentille! Il y en a qui font le saut loll Même certains parents le font le saut des fois (bien que plus discrets). On ne décore pas avec des licornes ni avec des personnages de Pat Patrouilles, et on ne prend pas les plaintes en considération. L’Halloween c’est fait pour faire et avoir peur! Je vous mettrai des photos.
On fait quoi pour les gens comme nous?!
Heureusement, je suis mariée à un homme bon et doux ! Tellement doux qu’il ne tue même pas les mouches (ou d’autres insectes indésirables) qui entrent dans la maison. Il les attrape au vol et les relâche dehors sans les blesser… Cela n’a pas toujours été le cas dans ma vie, car avant de le rencontrer, j’ai vécu beaucoup de violence conjugale de la part de deux de mes ex-conjoints. J’aurais très bien pu y laisser ma peau, car l’un des deux a même tenté de me tuer.
Je n’éprouve pas le besoin de revenir 37 ans en arrière, dans la noirceur de ces souvenirs traumatisants, mais j’ai encore une fois l’impression que parler de mes expériences pourrait amener certaines personnes à réfléchir, voire à agir. J’ai eu de la chance dans mon malheur, car lorsque j’ai dû quitter deux ex-conjoints violents, je n’étais pas encore en fauteuil roulant. À l’époque, je pouvais encore vivre seule, trouver refuge dans un centre pour femmes battues, ou, en dernier recours, acheter une tente et la dresser à l’orée d’un bois quelque part, si nécessaire.
Si je devais revivre toute cette violence aujourd’hui, avec mes problèmes de santé actuels et à mon âge, je ne sais pas comment je pourrais m’en sortir. Ma situation physique est bien différente de ce qu’elle était à l’époque, et la moindre difficulté est désormais bien plus compliquée à surmonter. C’est effrayant de penser à ce que cela impliquerait, car je n’aurais plus la même capacité de fuir ou de me protéger.
En pleine crise du logement, les femmes battues à mobilité réduite qui n’ont pas de famille ni d’amis sur qui compter, n’ont tout simplement pas le luxe de s’en sortir. Les centres pour femmes en difficulté ne sont pas adaptés, du moins pas dans ma région. Alors, je repose la question : que fait-on pour des personnes comme nous ? Absolument rien ! Rien du tout ! Il faudrait agir, et vite, avant qu’elles ne viennent grossir les statistiques des féminicides.
Avril 2008
Chapitre 1
— Mon amour, peux-tu venir ici? Il faut que je te montre quelque chose, me cria Pierre depuis la salle de bain.
Je me suis alors dépêché à aller rejoindre mon mari, lui qui n’avait pas l’habitude de crier. Planté là, les culottes encore baissées, il me pointa l’urine qu’il n’avait pas encore chassée à l’intérieur de la cuvette de toilette. J’ai regardé, et surprise je me suis exclamé :
— Oh shit! T’as beaucoup de sang! Ça t’as-tu fait mal quand tu as uriné?
— Non ç’a pas fait mal, mais ç’a chauffé un peu en finissant.
— OK, pis le sang a-t-il coulé avant, pendant, ou après? Parce que ça peut nous dire à quel endroit est situé le problème.
— Après.
— Bon! Là c’est bien important que tu m’écoutes, lui dis-je en prenant affectueusement les mains. Demain matin, va à la clinique sans rendez-vous. Si tu réussis à avoir une place pour voir un médecin, il va fort probablement juste te donner des antibiotiques pour soigner une infection. Là je ne veux pas te faire peur, mais il vaut mieux être prudent. Dis-lui que plusieurs membres de ta famille sont décédés du cancer et exige qu’il te fasse passer des tests plus approfondis. Vu que le sang était après miction, je pense que le problème se situe au niveau d’un rein.
— OK! Tu penses que c’est le cancer? demanda-t-il, inquiet.
— Mon amour, je ne suis pas docteur, fait que je te dis juste qu’il vaut mieux être prudent! Si tu fais juste prendre les antibiotiques sans passer d’autres examens, et que ça s’avère être un cancer, bien il aura eu la chance de grossir encore plus et prendre du terrain le temps de voir que les médicaments ne règlent pas le problème. Écoutes, d’une façon où d’une autre, ça va bien se passer. C’est la première fois que tu en vois du sang, fait qu’au pire des cas, si c’est le cancer, on va l’avoir vu à ses débuts et il sera facile à traiter.
Ce que je n’osais pas mentionner à Pierre c’est qu’on peut en avoir longtemps du sang dans notre urine sans le voir pour autant à l’oeil nu. Le fait qu’il y avait beaucoup de sang visible dans la cuvette de toilette et sur le bout de papier de toilette qui avait servi à s’essuyer le bout du pénis, m’inquiétais terriblement.
Pierre s’est réveillé en sursaut souvent cette nuit-là, inquiet pour sa santé, sachant très bien que compte tenu ses antécédents familiaux, la probabilité était bien réelle que ce satané crabe avait élu domicile chez lui, à son tour.
≈ 🦀 ≈
Avant de poursuivre ce récit, je vais d’abord vous parler des années formatrices de l’homme derrière le héros. Pierre vit le jour en 1957. Il a demeuré dans une modeste habitation sur le rang Grande Terre à St-François-du-Lac jusqu’à ce qu’il quitte définitivement la maison familiale à l’âge de trente ans, après avoir fait de nombreuses escalades à Montréal pour y travailler.
Qui dit “né dans une famille de quatorze enfants dans les années ‘50″, dit “famille qui vit probablement sous le seuil de la pauvreté”. Du moins, ce fut le cas de Pierre, le treizième enfant du clan Pariseau. Son père était plâtrier, sa mère, vous l’avez deviné, était femme au foyer.
De nos jours il est difficile de concevoir de fonder une famille si nombreuse, mais c’était assez fréquent dans ces années-là, surtout en région, alors que les curés du village exerçaient encore leur autorité auprès des paroissiens catholiques. On ne devait pas empêcher la famille, au risque de se faire refuser la confesse, et bien sûr, éventuellement se faire juger et traiter de pêcheur par les autres bonnes gens mangeux de balustre du coin. Il est important de souligner aussi le fait que la pilule contraceptive fit son apparition qu’en 1957, l’année de naissance de Pierre. Et finalement, il faisait fret en maudit au Québec en hiver quand la pauvreté les forçait à baisser les calorifères pour économiser le plus possible.
Le problème avec ces grossesses produites à la chaine c’était qu’un grand nombre de mères souffraient tôt ou tard d’épuisement physique et mental. Elles devaient donc se fier sur les plus vieux pour prendre la relève et s’occuper des plus jeunes, ce qui était plus ou moins fiable. Les mères ne passaient pas beaucoup de temps à les aider à faire leurs devoirs et leçons scolaires non plus parce que du temps, elles n’en avaient tout simplement pas assez pour faire le tour de leurs progénitures. De toute façon, plusieurs de ces mères n’avaient pas une grande éducation elles-mêmes. Après tout, dans leur propre jeunesse on disait bien des femmes qu’elles n’avaient pas besoin d’aller à l’école longtemps pour savoir comment changer une couche! Les enfants qui éprouvaient des troubles d’apprentissage passaient souvent dans les craques du système d’éducation et de la bonne volonté des familles.
On ajoute à tout ça la malnutrition, la maladie mentale et physique qui en résultait, faute de ne pas encore avoir de régime de la santé d’implanté (la Régie de l’Assurance Maladie du Québec ne fut en place que le 1 juillet 1970), ça ne faisait pas des enfants forts, ni bien disposés à apprendre ce qui fut enseigné en classe ordinaire. Dans ces années-là, on ne s’attardait pas à essayer de comprendre pourquoi un enfant éprouvait des difficultés à l’apprentissage, on l’étiquetait soit de paresseux, soit d’attardé mentale. Parce que c’est comme ça qu’on les appelait jadis, des attardés.
Plusieurs parmi les quatorze enfants Pariseau éprouvaient des difficultés à l’école, et Pierre n’était pas l’exception! Il s’était rendu qu’au milieu de sa deuxième année du secondaire. Malgré son bon vouloir, il avait essuyé assez d’échecs scolaires pour le décourager, donc il a finalement abandonné ses études à l’âge de seize ans. Il n’arrivait tout simplement pas à suivre les autres. Ce qui est important de savoir c’est qu’il n’était pourtant pas déficient intellectuel! Cependant, non seulement il souffrait de malnutrition au point d’en faire des crises d’épilepsie à l’âge de douze et treize ans, ce n’est qu’une fois rendu adulte qu’il découvrit être dyslexique. Il était passé au travers du filet, comme bien d’autres à cette époque.
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Lorsqu’on questionne Pierre au sujet de sa petite enfance, il a bien peu de souvenirs à raconter, aussi positifs que négatifs. Il prétend que l’alcool, ou plutôt sa consommation excessive de boisson est responsable. Il a commencé à boire lors des fêtes familiales dès l’âge de quatorze ans. À partir de là, sa consommation augmenta graduellement de beaucoup au fil des ans au point de devenir alcoolique à l’aube de sa trentaine. Cependant, il y en a un souvenir dont il se rappellera toujours! En fait, il se pourrait bien que ce soit un des plus beaux jours de son adolescence.
En grandissant, Pierre n’avait pas de bicyclette, d’ailleurs, aucun enfant de la famille n’en possédait une, sauf pour son grand frère André, qui s’en était procuré une avec son propre argent. Ce dernier eut quand même la générosité de la prêter à son frère lorsqu’il ne s’en servait pas pour aller travailler. Le problème c’est que le vélo d’André était un vingt-huit pouces, donc beaucoup trop grand pour Pierre qui du haut de ses douze ans n’arrivait pas à l’enfourcher, compte tenu de la barre dont disposaient les bécanes de gars à l’époque. Il devait donc se placer de côté, replier sous la barre, en se tenant après le guidon, pour réussir de peine et de misère à pédaler.
Par un bel après-midi d’été, son père alla retrouver Pierre qui était assis à la cuisine et à sa grande surprise, du fait que ce n’était pas son anniversaire, lui dit :
— Viens-t’en avec moi! On s’en va t’acheter un bicycle chez Oliva Beaulieu.
Le commerce en question était situé au village de Saint-François-du-Lac et puisque son père n’avait pas d’auto, il prit son propre vélo pour s’y rendre, et Pierre marcha à ses côtés. En effet, ce n’était pas son anniversaire ni une quelconque occasion spéciale. Son père avait tout simplement eu vent que son fils faisait rire de lui quand il se rendait au village avec le bicycle d’André. Il lui choisit alors un modèle pour fille, abordable et usagé, mais en bon état, de couleur bleue royale. Pierre n’en avait rien à foutre qu’elle soit pour fille! Il enfourcha son nouveau vélo qui lui fit comme gant, et retourna à la maison fier comme un paon! Il passa le reste de l’été à dépenser ses maigres économies pour le décorer à son gout avec des réflecteurs, des clignotants, des guirlandes pour les poignées, sans oublier un klaxon.
Quand il n’était pas sur les bancs d’école ou en train de se promener à vélo, Pierre passa le reste de son temps libre à la pêche, en chaloupe sur la rivière Saint-François en été, et en hiver à patiner avec sa nièce Josée, et à glisser en bas d’une côte proche de chez lui avec son frère Gérard.
Plus tard, dès l’âge de seize ans, soit après avoir abandonné l’école, et pendant les dix années suivantes, il alla travailler chez des agriculteurs, notamment aux pommes de terre, et aux semences de plants de fraises pour Séraphin Traversy pendant la semaine. Ses fins de semaine il les passa à boire en compagnie de ses amis. À vingt-six ans il s’acheta l’équipement pour faire du C.B. Il combla ainsi sa solitude quand il n’était pas avec ses amis, en buvant et en jasant au radio avec d’autres cébistes.
À l’âge de vingt-sept ans, une certaine nuit d’hiver, Pierre et un bon ami s’en revenaient au bercail, à Saint-François-du-Lac, dans l’auto de ce dernier, après avoir passé une fin de semaine bien arrosée à Drummondville. Les deux hommes étaient encore sous l’effet de la boisson, en fait ils avaient continué de boire de la bière pendant le trajet. Bien que ce fut l’ami qui conduisait l’auto, il expliqua plus tard que Pierre aussi était responsable de l’accident qu’ils ont eu rendu à la hauteur de Saint-Guillaume. Il s’était endormi et se serait penché du bord du conducteur, lui accrochant le bras. Ceci a eu pour effet de les faire déraper dans le milieu du chemin puisque le chauffard était incapable de maitriser son véhicule sur la route glacée. Une auto qui s’en venait au sens inverse les a happés sur le côté du passager. L’ami a subi une fracture de la jambe et des douleurs au cou dû au contrecoup. Pierre de son côté a reçu un coup à la tête qui lui fit perdre à jamais son sens d’odorat. Pour ce qui est des occupants de l’autre voiture, le conducteur s’en est sorti qu’avec des grafignes et la passagère avec une fracture.
Malgré ce qui aurait pu facilement lui couter la vie ou celle d’un autre, Pierre continua à se souler la fraise dès qu’il le pouvait. Et c’est ainsi qu’à l’âge de trente-et-un ans il eut un deuxième accident de la route, sur sa mobylette cette fois. C’était durant l’été, et il avait passé la soirée au bar le Vieux 38 à Saint-François-du-Lac. En fin de soirée, un autre client et bonne connaissance, voyant que Pierre était très ivre, a eu l’idée de génie de lui proposer d’aller prendre un café dans un restaurant à Pierreville, le village voisin! Donc, pour ceux d’entre vous qui ne sont pas du coin, s’il était retourné directement chez lui, qui consistait à s’en aller en ligne droite pendant environ un kilomètre, plutôt que de traverser le pont David Laperrière et le village au complet pour se rendre au restaurant Le Calumet afin de soi-disant dégriser, il n’aurait pas eu à franchir la courbe abrupte en chemin, et l’accident n’aurait probablement pas eu lieu. Heureusement, ses blessures furent minimes et personne d’autre ne fut impliqué.
Encore une fois, il avait évité le pire, et encore une fois cet accident ne l’incita pas à arrêter de boire pour autant, ne voyant pas qu’il avait un problème de consommation, cela n’a servi à le rendre plus prudent sur la route. Certains membres de sa famille lui ont reproché de boire trop, surtout quand ils arrivaient chez lui le matin pour le trouver avec une bière déjà à la main, mais le message rentrait dans l’oreille d’un sourd!
Sans éducation, sans métier, et ayant vécu dans la pauvreté toute sa vie, sans compter ses nombreuses années de beuveries intenses, l’aide sociale a eu l’idée brillante de le retourner sur les bancs d’école aux adultes à l’âge trente-trois ans s’imaginant qu’il aurait des meilleurs résultats. Laissé sans choix, sinon il se faisait couper ses prestations déjà pas assez suffisantes pour assurer un état de «bien être» il fit l’effort d’y aller pendant deux ans. Comme il s’y attendait, il essuya encore un autre échec scolaire et ceci fit en sorte d’empirer davantage sa consommation d’alcool.
Ça lui prenait absolument un sérieux coup dur pour le conscientiser contre les effets dévastateurs que l’alcool avait sur sa vie, et ce coup dur il l’a eu à l’été de ses trente-huit ans.
Comme c’était devenu coutume au fil des ans, Pierre se leva le matin, une journée dans le milieu de la semaine, but deux cafés colorés au Coffee Mate, et se jeta dans la bière. Une fois rendu dans l’après-midi, il appela un de ses amis de brosse pour que celui-ci vienne le chercher en auto. Les deux chums passèrent l’après-midi à boire, assis dehors sur la balançoire à se raconter tout ce qui leur passait par la tête. Soudain, Pierre perdit connaissance et tomba en bas de la balançoire en faisant le bacon, l’écume lui sortait de la bouche, et perdant tout contrôle musculaire il s’urina dessus. La conjointe de son chum qui était restée jusque là à l’intérieur s’empressa d’appeler une ambulance.
Après avoir passée la nuit à l’hôpital, le médecin alla voir Pierre en fin d’après-midi. Rendu à cette heure tardive, il en avait son voyage d’être là, et demanda au docteur de lui donner son congé immédiatement.
— Monsieur Pariseau, vous avez fait une crise d’épilepsie contextuelle. C’est-à-dire que c’est votre alcoolisme sévère qui a causé votre état de mal épileptique. Ce que vous devez comprendre c’est qu’étant donné que votre crise épileptique a duré beaucoup plus de cinq minutes vous êtes maintenant beaucoup plus à risque de multiplier les crises. Si vous n’arrêtez pas de boire complètement, immédiatement, vous allez revenir nous voir, soyez-en certain! Et vous allez devoir rester hospitalisé pendant plusieurs mois si pas à plus long terme. L’état de mal épileptique peut causer des lésions et même une atrophie cervicale pouvant, entre autres, affecter vos capacités intellectuelles de façon définitive, ou même vous occasionner des séquelles neurologiques. J’aimerais vous garder encore un peu pour vous faire passer d’autres tests.
Pierre refusa de rester et contre la bonne volonté du médecin, il a signé une décharge de responsabilité et appela son frère Gérard pour qu’il aille le chercher. Il revêtit ses pantalons souillés d’urine et alla à l’entrée attendre son transport.
En route chez lui, il demanda à Gérard d’arrêter au dépanneur, ce qu’il fit. Pierre entra s’acheter une caisse de douze bières. Aussitôt arrivé chez lui, il mit les bières au réfrigérateur sans jamais les boire. En fait, le lendemain il les a donnés à un autre ami de brosse, et il n’a jamais bu une seule autre goutte d’alcool depuis, et ce sans l’aide de personne ni d’aucun organisme. Il n’a donc plus jamais refait de crise d’épilepsie.
Ce n’était pas facile pour lui, puisqu’en arrêtant de boire il perdit quelques amis de longue date, ou du moins c’est là qu’il comprit que dans le fond, ils n’étaient pas de vrais amis. Ils n’étaient que ce qu’on appelle des amis de brosse. Même qu’un jour, c’est venu à ses oreilles, que le chum chez qui il était lorsqu’il eut son grand mal, s’est venté de lui avoir craché dessus en lui criant « crève charogne » en attendant que l’ambulance arrive.
Il passa le plus clair de son temps à entretenir l’appartement qu’il partageait alors avec son frère Gérard et sa sœur Monique, et comme passe-temps, il allait à la pêche. En soirée il comblait le vide en parlant au C.B. C’est d’ailleurs là qu’on a fait connaissance, d’abord en s’écoutant parler à l’insu l’un de l’autre, ensuite, quand Pierre eu assez de courage pour m’aborder, nous avons jasé plusieurs heures ensemble via les ondes radio et ensuite au téléphone. Finalement, lorsque j’étais suffisamment rassurée qu’il fût un homme bien et doux, j’ai accepté de le rencontrer en personne.
J’ai trouvé en lui l’homme le plus doux, le plus attentionné, le plus patient, le plus compréhensif, le plus gentil, le plus affectueux, le plus loyal de tous les hommes que j’ai rencontrés dans ma vie. C’était en plein la personne qui me fallait après avoir subi des relations de couple toxiques voir mêmes dramatiques (il faut lire mon premier roman « Quand Izzy marchait sur les œufs » pour plus de détails). En fait, au fil des ans, ma santé physique s’est détériorée au point de devoir me résigner à utiliser un fauteuil roulant, et plutôt que de prendre ses jambes à son cou, tel que je lui ai conseillé de faire à maintes reprises, il est resté à mes côtés sans hésiter une seconde pour devenir non seulement mon mari aimant, mais aussi mon aidant naturel dévoué.
Chapitre 2
— Puis? Qu’est-ce qu’il t’a dit le docteur? Il va-tu t’envoyer passer d’autres tests? Lui as-tu dit qu’il y avait plusieurs cas de cancer dans ta famille? demandais-je à Pierre aussitôt qu’il franchit le seuil de la porte.
— Attends un peu que j’me déshabiller là…
— Oui, oui! Excuse-moi. Prends le temps d’arriver, puis viens me raconter ça.
— Bon! J’ai rencontré le docteur Lavergne, bien «smat» le monsieur. Comme tu m’as dit, il m’a prescrit des antibiotiques. Je lui ai dit à propos des cas de cancer dans ma famille, puis il veut que j’aille passer des prises de sang, des tests d’urine pis une échographie.
— Mais il veut que tu prennes les antibiotiques même si t’as pas d’infection?
— Oui! Faut que je les prenne au cas où. Pis si j’ai pas d’infection, ça dérange pas, m’expliqua Pierre.
Dès le lendemain, Pierre alla au centre de prélèvements à l’hôpital Hôtel Dieu de Sorel. La salle d’attente était tellement bondée de gens qui attendaient que plusieurs usagés devaient attendre dans le corridor. Il entra sans trop savoir s’il devait, et fut tout de suite accueilli par une bénévole. La vieille dame, toute souriante lui remit un coupon numéroté indiquant le chiffre 92.
— Tu vas devoir attendre dans le corridor, mais inquiète-toi pas je vais aller te chercher quand ce sera ton tour, l’informa la vielle.
— Numéro 92! Je ne suis pas à veille de passer, s’exclama-t-il.
— Tout le monde doit avoir passé avant midi. À midi on ferme.
Voyant que certains étaient appelés au comptoir des préposés, Pierre demanda :
— Faut pas que je donne ma prescription et ma carte d’hôpital à la madame avant?
— Non! Tu dois attendre que j’aille te chercher quand on sera rendu au numéro 92. Ensuite, tu vois le compteur là bas en haut à droit de la porte? Bien quand ton tour arrivera pour tes prises de sang, tu vas le savoir en regardant le compteur.
Voyant que le compteur indiquait 80, Pierre ne comprenait pas trop comment ça se faisait que son tour arrivait si rapidement avec toutes ces personnes qui attendaient bien avant lui.
— Non, non! Ton tour est loin d’être à veille de passer! À 100 il recommence à zéro. Tu vas passer à la fin de ce nouveau cycle-là.
Pierre remercia la dame, lui obéit, et se résigna à aller rejoindre les autres patients plus ou moins patients, debout, dans le corridor. Il passa les deux prochaines heures à regarder les gens circuler, à écouter des bribes de conversation ici et là, et a témoigner quelques pétages de coche. En même temps, il se disait que la pauvre vieille à l’accueil qui ne fournissait pas à la tâche, et qui gardant son chaleureux sourire malgré tout, devait s’emmerder pas à peu près chez elle pour vouloir sacrifier sa retraite, surement bien méritée, pour être là à gérer des mal engueulés à longueur de semaine.
Pierre n’en pouvait plus de rester planté là à attendre. Son bas de dos lui fit terriblement mal. Si au moins les accompagnateurs avaient le bon sens d’aller attendre ailleurs quand ils voient que la salle est pleine, ça laisserait des chaises aux malades, ou endoloris. La petite madame bénévole devrait les avertir! se dit-il.
— Pierre Pariseau, viens! C’est à ton tour, lui fit signe, enfin, la bénévole.
Tout de suite en entrant dans la salle de prélèvements, Pierre tendit son petit pot d’urine à l’infirmière, comme si c’était un précieux trésor.
Après que l’infirmière lui ait enfin prélevé un total de cinq fioles de sang, Pierre se dirigea au département de radiologie pour leur remettre la prescription du docteur Lavergne pour une échographie. On lui expliqua qu’il devra attendre leur appel pour fixer un rendez-vous, et non, ils ne pouvaient pas lui donner un approximatif de quand ça pourrait être, même si le bon médecin avait pris soin d’écrire Urgent sur le papier.
Comme nous n’avions pas d’auto, Pierre appela un taxi pour s’en revenir à la maison.
≈ 🦀 ≈
Trois semaines plus tard, Pierre a reçu l’appel du département de radiologie. Son échographie était planifiée pour la semaine suivante.
Pendant ces quatre semaines d’attente, j’étais très inquiète. Pierre, de son côté, ne semblait pas s’en soucier trop. En fait, je ne comprenais pas trop comment il pouvait poursuivre sa petite routine comme si de rien n’était. Je commençais même à le croire en déni. Mais, contrairement à l’impression qu’il me donnait, j’ai appris depuis que mon mari est un homme qui vit pratiquement tout en dedans. Ça lui en prend beaucoup pour extérioriser ses craintes. En fait, à l’époque, Molly-chien était la seule à savoir que Pierre avait carrément la trouille! Sa peur s’accentua davantage après avoir pris ses antibiotiques pendant les dix jours prescrits, et constaté qu’il y avait encore du sang dans ses urines.
En passant, ne sous-estimez pas les bienfaits de la zoothérapie! Si ça n’avait pas été de l’amour inconditionnel et l’écoute inlassable de notre labrador, je ne sais pas si Pierre aurait tenu le coup pendant tout ce qui s’en est suivi. Le chien savait très bien que Pierre n’allait pas bien, il le ressentait. Mais pourquoi le chien et pas moi? Il ne voulait pas me mettre une charge additionnelle sur les épaules et m’inquiéter davantage, se disant que j’en avais déjà beaucoup trop sur les épaules avec mes problèmes de santé, et la discorde familiale. Molly elle, ne demandait pas mieux. Elle en a marché une maudite shot cette petite chienne-là!
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Le jour de l’échographie abdominale pelvienne arriva enfin. Pierre but sa quantité d’eau requise au préalable, et se rendit à son rendez-vous en taxi.
La préposée à l’accueil du département de radiologie prit la carte d’hôpital, et carte d’assurance maladie du Québec de Pierre, et vérifia si les informations étaient à jour. Elle lui a ensuite remis une jaquette bleu pâle, usée et délavée qui sentait l’eau de javel à plein nez, avec un cordon manquant dans le bas. Une chance que Pierre avait choisi de mettre des bobettes pas de trou ce matin-là!
— Tenez, Monsieur Pariseau. Allez vous changer dans la salle de déshabillage au bout du couloir à droite. Ne laissez rien dans les cabines! Apportez votre linge, votre montre, et vos bijoux avec vous dans votre sac. Après allez vous assoir dans la salle d’attente, au bout du couloir à gauche. On va vous appeler. Quand vous aurez fini, revenez déposer la jaquette ici dans le panier.
D’abord soulagé en arrivant dans la salle d’attente de voir qu’il n’y avait que trois personnes avant lui, ça prit quand même une heure et demie avant d’être appelé.
Pierre entra dans la salle d’examen et s’allongea sur la civière, tel qu’indiqué par l’échographiste. Elle lui baissa quelque peu son sous-vêtement, et lui appliqua un gel froid sur la peau avant de lui passer la sonde à divers endroits sur l’abdomen et la région pelvienne. Elle repassa quelquefois au même endroit en regardant attentivement le moniteur vidéo, qui lui exposa les transducteurs reçus par la sonde. L’expression de son regard en disait long! Elle avait aperçu quelque chose d’anormal. Pierre le remarqua, et ressentit soudain un serrement de poitrine. Tout son corps se crispa, lorsqu’elle lui dit finalement :
— Je vois des masses dans votre vessie. Je ne peux pas vous en dire plus long. Les résultats seront envoyés à votre médecin. Attendez qu’il vous appelle.
Il alla se changer et se dirigea à la sortie de l’hôpital comme un automate. Il téléphona à un taxi pour revenir à la maison, qui, pour faire exprès, prit un temps fou à venir le chercher.
≈ 🦀 ≈
En entendant le bruit du véhicule devant la maison, je me suis précipité pour accueillir mon mari. Molly-chien était un vrai paquet de nerfs, elle aboya et sauta sur Pierre aussitôt qu’il franchit la porte. Quand j’ai vu qu’il était blanc comme un drap, j’ai tout de suite appréhendé le pire.
— Puis? Comment ça s’est passé? lui demandais-je.
— Attends… Je vais sortir le chien puis te raconter ça après. Elle va trop être fatigante sinon, dit Pierre en fixant la laisse après son collier.
— OK! Mais fait ça vite mon amour.
— Oui, oui! Je l’amène juste qu’au coin de la rue puis je reviens tout de suite.
Je suis allée l’attendre impatiemment, à la table de cuisine. Il n’était pas sorti longtemps, mais ça m’a semblé être une éternité.
En rentrant, il dit :
— Sera pas long! J’va me laver les mains avant.
— Tes mains peuvent attendent là! Non, mais t’sais? Ils t’ont-tu donné les résultats? Ils ont-tu vu quelque chose?
— Elle a faite un tas! J’vas me dépêcher, promit-il.
— C’est donc bien long te sécher les mains toi, dis-je sur le bord de pogner les nerfs tellement j’étais inquiète.
— Elle a vu des masses pas normales dans ma vessie.
— OK! Puis c’est quoi au juste ces masses-là? lui demandais-je.
— Je le sais pas. Faut que j’attende d’avoir des nouvelles du docteur Lavergne.
— Puis tes reins sont-ils normaux?
— Elle m’a pas parlé de mes reins, juste de ma vessie.
— Ah? Mais là tu vas devoir attendre combien de temps avant qu’il t’appelle?
— Il est supposé recevoir les résultats tout de suite.
— OK! Bien d’abord, si j’étais toi j’attendrais 2-3 jours et s’il m’avait pas encore appelé, j’irais voir direct à la clinique et demanderais un rendez-vous.
Et c’est exactement ce que Pierre a décidé de faire.
≈ 🦀 ≈
— Votre échographie indique que vous avez des masses dans votre vessie. Cependant, on ne peut pas voir exactement ce qu’ils sont. Vous allez devoir passer une cystoscopie pour qu’on en sache plus. Je vais vous référer au docteur Hejeily, c’est un urologue ici à l’hôpital Hotel Dieu, dit le docteur Lavergne.
— C’est quoi au juste cet examen là? demanda Pierre.
— Il va vous passer une caméra miniature par la voie du pénis pour aller voir directement dans votre vessie, et faire une biopsie en même temps.
— Mon rein n’a rien lui? Parce que des fois j’ai des douleurs sur mon côté gauche, demanda Pierre.
— Vous avez aussi un petit kyste au niveau de votre rein, mais 50 % des gens en haut de la cinquantaine en ont au moins un. La plupart du temps ils sont bénins. Vous en parlerez au docteur Hejeily.
Le docteur Lavergne lui remit un papier pour une demande de consultation.
— Tenez, vous n’avez qu’à appeler au centre de rendez-vous au numéro indiqué.
≈ 🦀 ≈
Arrivé à la maison, je me suis empressé encore une fois de m’informer de ce que le médecin lui avait dit. Et encore une fois, j’ai dû attendre impatiemment qu’il sorte Molly-chien avant de le bombarder de questions pour lesquelles il n’avait pas toutes les réponses.
Aussitôt revenu, Pierre n’a perdu de temps à se laver les mains cette fois, question de m’épargner l’attente.
— Tu sais, c’est peut-être rien de grave aussi. Ça veut pas dire que t’as le cancer là. C’est peut-être juste des tumeurs bénignes, lui dis-je en m’accotant la tête sur sa bedaine pour pouvoir le serrer très fort dans mes bras.
Je ne pas trop qui j’essayais de convaincre le plus, lui ou moi, mais dès cet instant, c’est comme si quelqu’un venait d’appuyer sur le bouton «PAUSE» de notre vie. Soudain la terre avait cessé de tourner pour nous. On avait l’impression que nous étions suspendus dans les airs à regarder en bas d’autres gens, des spécialistes, devenir maitres de notre destin. Nous étions complètement impuissants face à ce qui s’en venait.
— Mon amour, crois-tu à ça toi les ondes positives? Parce que moi je suis convaincu que quand on est plusieurs à prier, ou à demander la même chose à l’univers, ou quand on nous envoie plein de pensées positives, toute cette énergie collective là peut vraiment nous aider.
— Oui, moi aussi je crois à ça, répondit Pierre.
— Puis, es-tu le genre de gars qui aimerait mieux vivre ça en privé, ou si je peux en parler à mes amis sur le Net? Je l’écrirais sur le forum, et sur Facebook pour leur demander des pensées positives?
À l’époque j’étais plus active sur un des plus grands forums de discussion au Québec que sur Facebook.
— Oui, vas-y. Tu peux en parler. Ça peut pas nuire!
≈ 🦀 ≈
Aussitôt que mon message relatant les problèmes de santé de Pierre fut publié, je reçois un appel d’un membre de ma famille qui me lisait sur le forum à mon insu.
— Pierre le sait-tu que tu viens de parler de ses problèmes de vessie ouvertement sur le Net?
— Oui! Je lui ai même lu avant de le rendre public, et il m’a donné son autorisation.
— T’es sure que ça lui dérange pas? Si c’était mon mari, jamais qu’il n’aurait voulu que je parle à tout le monde de sa vessie comme ça.
— Je ne comprends pas trop pourquoi pas là.
— C’est gênant pour lui quand même. C’est pas comme s’il avait un problème de cœur ou de foie. La vessie c’est plus intime.
— Bien là! C’est pas comme si j’avais écrit qu’il bande mou non plus! J’ai juste dit qu’il avait des masses à la vessie, puis un kyste au rein, répondis-je, sur la défensive. Je ne comprenait pas alors pourquoi mon besoin viscéral de le crier sur tous les toits n’était pas une évidence pour cette personne.
Chapitre 1
Couchée dans son lit, dans son nouveau logement à Saint-Joseph-de-Sorel, Shelby se réveilla en pleurs dans le milieu de la nuit. C’était devenu une habitude depuis son départ de Parados il y a huit ans. Cette fois, par contre, ce n’était pas un cauchemar qui l’avait tirée des bras de Morphée, mais un beau rêve d’amour.
Elle se leva difficilement, mais la douleur qu’elle ressentit dans ses os n’était pas si pire, comparer à bien d’autres nuits. Elle enfila sa robe de chambre et s’assit dans son fauteuil roulant. Elle hésita plusieurs secondes avant de prendre le paquet de cigarettes qui se trouva sur sa table de chevet, se disant qu’elle devait absolument cesser de fumer. Elle ne fumait pourtant pas avant son retour de ce satané village de Parados. C’était la faute à Guillaume ça! Avec tout ce qu’il lui avait fait subir depuis leur retour, Shelby avait succombé à la tentation de griller sa première cigarette depuis des décennies, espérant que celle-ci lui donne la fausse impression d’apaiser sa nervosité grandissante.
Shelby roula jusqu’à sa porte d’en avant, et au moment où elle l’ouvrit, une forte odeur musquée lui remplit les narines. Elle allait refermer la porte aussi raide lorsque sa voisine de l’appartement d’à côté toussa, lui indiquant que la puanteur ne venait pas d’une moufette, mais plutôt d’un cannabis fort odorant!
— C’est pas moi qui t’ai réveillée j’espère? demanda la voisine entre deux quintes de toux.
Elle était assise sur la marche du haut du petit escalier en bois qu’elle partageait avec le logement de Shelby. Les voisines avaient toutes les deux aménagé ce vieux duplex le mois précédent. Elles s’étaient croisées depuis, mais ne s’étaient pas encore présentées.
— Non! J’ai fait un mauvais rêve, c’est tout. C’est chose habituelle chez moi.
— Moi, c’est l’insomnie qui m’amène souvent dehors dans le milieu de la nuit. Je fume un petit pétard, ça m’aide à m’endormir, enfin, des fois. Moi, c’est Magnolia-Rose, en passant. Mes proches m’appellent Lia.
— Moi, c’est Shelby. Mes proches ne m’appellent plus.
— Ah? Je ne sais pas trop quoi répliquer à ça. Je suis désolée s’il y a lieu de l’être.
— Non, tu n’as pas à l’être. C’est moi qui suis désolée. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça.
— La solitude te pèse peut-être? As-tu de la famille ou des amis dans la région?
— Pas vraiment, non, mais « all work and no play makes Jack a dull boy. »
— Pardon?
— J’ai un ex, en fait, c’était l’amour de ma vie, mais il est devenu fou suite a un enchainement d’évènements qui sont en grande partie de ma faute. Bref, depuis, il est devenu obsédé par un personnage de Stephen King. Il passait son temps à me répéter cette réplique du personnage Jack Torrance de son livre The Shining. Un bon matin, j’en ai eu assez, et suis déménagé ici, le laissant seul à Lévis avec ses délires.
Aussitôt dit, aussitôt regrettée! Sa solitude grandissante était surement responsable de cette confidence faite à une pure inconnue, mais elle devra faire gaffe dorénavant de ne pas inviter les gens à entrer de la sorte dans sa vie privée. Sa sécurité en dépendait! En fait, même si la version qu’elle a donnée à sa voisine était quelque peu altérée, lui avoir mentionné le nom de la ville où elle avait laissé son mari pourrait la rendre plus facile à retrouver.
— Ah bon! Alors tu n’as personne pour s’occuper de toi? Je veux dire, ça ne sera pas facile d’habiter ici seule dans ta condition, sans recevoir l’aide de personne. J’espère que tu ne comptes pas me le demander! Je vais être directe avec toi. C’est pas que je ne suis pas serviable, mais je ne veux juste pas que tu te fies sur moi pour être toujours disponible pour te secourir. Parce que, moi ça ne parait peut-être pas comme toi, mais j’ai aussi mes propres problèmes, tu comprends? Ça ne nous empêchera pas de devenir des bonnes amies pour autant.
— Oui! Le message est on ne peut plus clair. J’en ai un aussi pour toi, question d’établir les règles de bon voisinage entre nous tout de suite en partant. Je ne compte pas te demander de l’aide, jamais! Pour ce qui est de devenir ta bonne amie un jour, c’est à mon tour de te dire de ne pas te fier là dessus. Tu vois, j’ai la ferme intention dans ma nouvelle vie de favoriser les gens qui ne se câlissent pas de moi, dit Shelby, en éteignant délicatement sa cigarette inachevée. Elle l’a remit dans son paquet et se tourna pour ouvrir la porte.
— Tu rendre déjà? demanda Lia-Rose. T’as pratiquement pas fumé ta cigarette.
— Je vais aller la terminer sur le perron en arrière, répondit sèchement Shelby, en tournant la poignée de porte.
— C’est pas moi qui te fais fuir j’espère! C’est plein d’araignées en arrière.
Shelby hésita un moment, vu sa grande phobie de ces insectes, et rentra dans la maison sans rien ajouter, résignée à abandonner le projet de se boucaner les poumons. Dans le fond, c’était aussi bien de même, se dit-elle. Cependant, question de satisfaire sa curiosité, elle alla quand même jeter un coup d’oeil par la fenêtre de sa porte de derrière, sans toute fois allumer la lumière dehors. Effectivement, Lia-Rose avait dit vrai! Devant ses yeux, suspendue à un travers, sous la toiture du perron, une demoiselle bien dodue à longues pattes noires était occupée à tisser sa toile. Focalisant sur l’arachnide, elle referma les petits rideaux de coton carreautés roses et blancs, couvrants la fenêtre d’un coup sec non seulement pour ne plus voir l’insecte, mais aussi le gros berger allemand noir qui l’observait, assis dans la pénombre de la nuit, en bas des marches du perron.
Une main placée sur son épaule fit sursauter Shelby.
— Qu’est-ce que tu fais là? Par quel droit tu entres chez moi sans cogner?
— Je suis désolée Shelby! J’ai cogné plusieurs fois, mais tu ne semblais pas m’entendre. J’ai entre ouvert la porte, et j’ai crié ton nom, mais tu ne me répondais toujours pas. J’ai cru que tu n’allais pas bien. Tu réalises que ça fait une heure que tu es assise là, immobile, devant la porte fermée? J’étais inquiète!
Sans lui donner d’explication, principalement du fait qu’elle n’en avait pas à lui offrir, Shelby regarda l’heure affichée sur le cadran numérique de sa cuisinière. S’efforçant de me pas laisser son incompréhension et sa peur transparaitre, elle lui demanda ce qu’elle lui voulait à l’origine.
— Je voulais juste m’excuser et t’expliquer la raison de mon commentaire de tout à l’heure.
— Magnolia-Rose, tu ne me dois pas d’explication! T’inquiètes, je ne suis pas du genre à déranger le monde avec mes problèmes de santé. Je vais me satisfaire des services que le 1C.L.S.C. va bien vouloir me fournir.
— D’accord, ça me rassure pour toi. Mais je t’en prie, si jamais je suis là et que tu as besoin d’aide pour quoi que soit, n’hésite pas à me le demander. Je ne suis pas vraiment aussi sans-cœur que je le prétends. C’est juste que…
— C’est beau! On oublie tout! Maintenant, je vais te demander de m’excuser. Je vais essayer de dormir un peu.
1 – Au Québec, un C.L.S.C., c’est-à-dire un centre local de services communautaires, est un organisme public qui, entre autres, offre le maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées.
~ ● ¤ ● ~
Deux heures après s’être recouchée, Shelby se réveilla en sueur, le coeur battant la chamade. Elle avait rêvé à Mallow, le berger allemand qu’elle avait adopté jadis, alors qu’elle venait d’emménager à Parados. Dans son cauchemar, le chien était recouvert de sang, chignait, et reniflait partout dans cet ancien petit village dans le but de la retrouver, elle, sa maitresse. Shelby, l’appelait par son nom, lui courrait après, mais c’était peine perdue! Le chien ne la voyait pas.
Shelby se releva à nouveau, s’installa dans sa chaise roulante, et se rendit à la salle de bain. Bien qu’elle envisagea de simplement se rafraichir avec une débarbouillette, elle opta finalement pour une bonne douche à l’eau tiède. Elle se savonna généreusement de son nouveau savon artisanal à fragrance de fleur d’oranger, aux vertus relaxantes et apaisantes. La vendeuse est allée même jusqu’à dire que ce savon règlerait ses troubles d’insomnies. Lorsque Shelby lui avait demandé quel savon elle devait prendre pour chasser ses cauchemars récidivants, visiblement impuissante, elle avait simplement haussé les épaules.
Shelby réussit à dormir un bon six heures en ligne par la suite. Elle n’était pas encore prête à donner tout le mérite au savon, mais garda quand même l’esprit ouvert, étant une femme qui ne croyait pas trop au hasard. La première chose qu’elle alla faire, après son premier petit pipi du matin, bien, c’est d’aller noter le fameux savon sur sa liste d’achats à faire, aimantée sur son réfrigérateur. Lorsqu’elle vit le mot guimauves déjà inscrit sur la liste, dans une main d’écriture qu’elle ne reconnaissait pas, elle lâcha un cri de mort, s’est mise à trembler comme une feuille et échappa le stylo.
Deux minutes plus tard, Lia sonna à sa porte d’en avant, mais Shelby resta figée sur place. La peur l’empêcha de sortir de la cuisine pour lui ouvrir. Elle osa à peine respirer, jusqu’à ce qu’elle voit sa voisine à la porte arrière.
— Shelby! Ça va?
— Oui, oui! fit Shelby en ouvrant la porte. J’ai eu une sacrée frousse, voilà tout.
— Quand je t’ai entendu crier, j’étais sure que tu étais tombée. Veux-tu bien me dire ce qui t’a fait aussi peur?
— Resterais-tu prendre un café avec moi? demanda Shelby. Me semble que ça me ferait du bien d’en parler à quelqu’un. Si je ne te dérange pas, bien entendu! J’ose pas en parler aux p’tites madames du C.L.S.C., un plan pour qu’elles me fassent interner!
— D’accord! Sauf que je vais te prendre une tisane, si tu en as, quelque chose de fruité de préférence. Un simple thé ferait mon affaire aussi, s’empressa d’ajouter Lia.
Les deux femmes s’installèrent à table avec leur breuvage, une tisane à la menthe poivrée pour Lia, et un café moka crème pour Shelby. Cette dernière raconta les derniers évènements, soit l’apparition de son défunt chien, et l’inscription sur sa liste d’épicerie.
— J’me demande si ça ne serait pas le nain que j’ai vu roder autour du bloc l’autre soir.
— Répète-moi donc ça! s’exclama Shelby, stupéfaite de ce qu’elle venait d’entendre. T’as vu un nain rôder autour? Quand au juste, et de quoi avait-il l’air.
— Ben oui! C’était quand donc… Avant hier, ou la nuit d’avant, j’suis plus trop sure. Il avait l’air de vouloir grimper sur le côté de ton balcon. J’imagine que c’était pour écornifler par ta fenêtre de salon sans passer par les marches, de peur de se faire voir. Je suis sortie juste au bon moment! Quand je l’ai aperçu, je lui ai demandé qu’est-ce qui faisait là! Il m’a répondu qu’il voulait juste voir dans nos bacs de récupération s’il y avait des bouteilles vides. Je lui ai fait remarquer que les bacs étaient sur le côté de la maison vers l’arrière, pas sur ton balcon, et qu’il n’avait rien d’un clochard!
— Et justement, son apparence?
— Bien, il avait l’air d’un nain! Cheveux foncés, il me semble. À part ça, je ne sais pas quoi te dire. Écoute, c’était le premier nain que je voyais de ma vie, en vrai je veux dire, et c’était le milieu de la nuit. En fait il m’a fait peur en me disant son nom. Thomas Hewitt qu’il s’appelle, tu sais comme dans les films de massacre à la tronçonneuse?
— Thomas Hewitt! répéta Shelby a basse voix, comme si le dire tout haut le convoquerait. J’en reviens pas! Comment est-ce possible?
— Bon! Je dois te dire que je ne suis pas le genre de voisine à me mêler de ce qui ne me regarde pas, contrairement à l’impression que j’aurais pu t’avoir donnée. Je dois aussi te dire que ce trait de ma personnalité prend le bord dès que j’ai l’impression de ma sécurité peut possiblement être mise à l’épreuve. Donc, je te demande de bien vouloir me dire ce qui se passe ici avec tous les détails possibles, parce que ma petite alarme intérieure est en train de sonner comme jamais auparavant!
— Désolée Lia, mais je ne te connais pas. Je veux bien apaiser ta crainte, mais je ne peux pas t’en raconter davantage. Je ne peux pas faire confiance à quelqu’un que je viens à peine de rencontrer. Ça serait trop risqué pour toi et dangereux pour moi, sans compter ceux que j’aime le plus au monde. De toute façon, ça me surprendrait bien gros que tu me croies à ce stade-ci. Non, tu vas devoir te contenter de ce que je t’ai déjà dit.
— Écoute, écoute, écoute! Tu n’es pas la seule à avoir un passé et une histoire qu’il vaut mieux ne pas raconter! Je pourrais t’en dire bien des choses moi aussi. Des choses tellement invraisemblables que je ne pense pas que tu me crois non plus. Attends! J’y pense là… Attends, attends, attends! Non, ça se peut pas! Ça serait trop grave! Laisse faire ça. J’ai rien dit. Je pense que je ferais mieux de m’en retourner chez moi.
— Non! S’il te plais, ne te sauve pas! Dis-moi de quoi tu parles au juste! demanda Shelby. Maudit que j’haïs ça quand le monde commence à dire de quoi, mais ne finit pas!
— Bien! C’est juste que je commence à me demander… Maudit que j’aime pas ça! Et si nos histoires avaient quelque chose en commun? Nous avons peut-être le même vécu, ou du moins un vécu similaire! dit Lia.
— Oh! Ça me surprendrait énormément! répliqua Shelby en se rendant au comptoir de cuisine pour se faire un autre café.
— OK! On va faire un test pour voir. Si je te dis les mots « cristaux bleus », ça te dit-tu quelque chose?
Shelby échappa sa tasse d’eau par terre, et sans essuyer son dégât, se tourna, et dévisagea Lia quelques secondes avant de sortir son pistolet, un petit Ruger LC9s, caché derrière son dos. Elle pointa l’arme en direction de sa voisine et lui cria :
— Là ça fait le niaisage! Tu vas me dire tout ce que tu sais!
— Commence par te calmer et range ton arme. Je suis du même bord que toi. Même que j’ai bien peur qu’on n’ait pas le choix ma belle. Nous allons devoir devenir des alliées, dit Lia-Rose. Ensuite, en chuchotant, elle ajouta :
— Je ne sais pas si tu es au courant, mais il se passe actuellement quelque chose de bizarre à Yamaska. Selon ma source, il semblerait que ce soit possiblement relié aux fameux cristaux.
Chapitre 2
Assise à sa table de cuisine, en train de boire son premier café de la journée, Rachel, la belle Maskoutaine pulpeuse aux cheveux noirs, contemplait le soleil se lever doucement par la grande fenêtre à côté d’elle. Les oiseaux étaient particulièrement bruyants ce matin-là, d’ailleurs, ce sont eux qui l’avaient réveillée, avant même que la sonnerie de son cadran retentisse. Il lui restait encore une bonne heure, croyait-elle, à relaxer avant de devoir commencer la routine du matin, et de voir à ce que ses enfants soient prêts pour leur journée d’école.
Ça faisait exactement cinq ans que Rachel habitait dans cette maison mobile, dans un parc, sur le bord de la rivière à Yamaska. Elle y élevait seule ses deux garçons, Louka six ans, et Kylian douze ans. Bien que ce fût loin d’être son endroit rêvé pour passer sa vie, elle était heureuse comme jamais d’y vivre. Le fait que c’était pratiquement gratuit l’aidait beaucoup à accepter les petits inconvénients! C’est-à-dire qu’elle n’avait que les taxes municipales et scolaires à payer annuellement, à faible cout.
Rachel avait reçu cette maison en guise de dédommagement, en réglant à l’amiable, si on peut dire, le compte de son ex-conjoint violent. En échange, elle avait promis de ne pas porter plainte contre lui, ni au criminel ni au civil, pour les sévices corporels et moraux qu’il lui avait fait subir pendant leurs sept longues années ensemble, et taire toutes autres allégations qu’il n’avait pas été un conjoint exemplaire. Elle devait, par leur entente, dire à qui était curieux de savoir la raison de leur rupture qu’elle l’avait quitté tout simplement parce qu’elle avait cessé de l’aimer.
En plus de lui donner cette très modeste habitation, son ancien conjoint avait accepté volontiers de ne plus jamais avoir de contact de près ni de loin avec ses deux fils. Il faut dire qu’il n’en avait rien à cirer des mômes. Ça avait été son choix à elle de les mettre au monde, pas le sien! D’ailleurs, une couple de petites bières dans le corps aidant, il l’avait souvent et publiquement accusé de l’avoir truqué pour l’engrosser, deux fois plutôt qu’une. À l’entendre parler, c’était toute qu’une manipulatrice cette Rachel! Heureusement qu’après trois bières, plus personne ne l’écoutait.
— Maman! Les maudits moineaux m’ont réveillé! Je peux-tu aller dehors avec ma carabine à plomb, pis tirer dans les airs pour leur faire peur? demanda Kylian en rejoignant sa mère dans la cuisine.
— T’es malade! Retourne te coucher!
— J’veux pas les tuer! Je veux juste leur faire peur pour qu’ils s’en aillent ailleurs.
— Oublies ce projet-là mon petit chien! Tu n’iras nulle part avec ta carabine. Non, mais c’est toujours bien juste des oiseaux! Un peu de tolérance quand même! Il fallait s’y attendre, c’est le printemps. Retourne te coucher et essaie de dormir. Il te reste encore une heure avant que ton cadran sonne.
— Je ne serai jamais capable de me rendormir. Il fait trop chaud dans ma chambre, pis si j’ouvre la fenêtre je vais entendre les maudits moineaux encore plus fort, se lamenta Kylian.
— Franchement, tu fais exprès! Commence donc par enlever ton gros pyjama en flannelette avant de te plaindre qu’il fait trop chaud. En tout cas, si tu veux absolument rester debout, ne réveille pas Louka, dit Rachel.
~ ● ¤ ● ~
Rachel sortait à peine de la douche, après avoir envoyé ses deux garçons à l’école, qu’on cognait déjà à sa porte. C’était Morgane, la voisine d’en face. Rachel l’aimait bien, mais la trouvait fatigante des fois. Elle avait souvent le don d’arriver à l’improviste quand ce n’était pas le temps. Il faut dire aussi que Morgane n’était pas le crayon le plus aiguisé de la boite, et Rachel n’avait pas une grande patience pour ces gens-là.
Avec son drap de bain autour de son corps et une serviette entourant sa longue chevelure, Rachel alla lui répondre. C’était plus fort qu’elle, en voyant comment son amie était vêtue combiné avec la raison de sa visite, elle s’esclaffa. La jeune femme, très forte du popotin, portait un ensemble short et chandail, imprimé de fruits et de légumes qui accentuaient davantage ses rondeurs. Elle était là pour demander à Rachel si elle voulait aller arroser leur jardin communautaire avec elle.
En fait, l’idée initiale de faire ce jardin potager venait de Romain, le conjoint de Morgane. Il avait même pris l’initiative de demander la permission à leur voisin cultivateur s’ils pouvaient se servir d’un petit bout de sa terre qui longeait le terrain du parc à maisons mobiles, et qui ne lui servait pas. Comme de raison, ce n’était pas lui qui se tapait tout l’ouvrage. Monsieur avait ce que Rachel s’amusait à appeler, un mal de dos sélectif.
La seule raison que Rachel avait embarquée dans cette galère, c’était qu’elle avait un peu pitié de Morgane qui devait tout faire toute seule, parce que personnellement, elle n’en avait rien à foutre du jardin. Elle n’aimait pas particulièrement les légumes, et détestait la corvée de leur préparation à la congélation et d’empotage à l’automne. Ce matin-là ça lui tentait encore moins d’accompagner Morgane. Elle se sentait à cran plus que la normale. S’être fait réveiller à 5 h 30 devait surement être la cause.
— Veux-tu bien me dire où t’as péché ça ce linge-là?
— Qu’est-ce que t’as contre mon linge?
— Ah! Rien pantoute! C’est juste que, mettons que ça ne peut pas faire plus thématique ton affaire! Ha, ha, ha! Mais bon, comme tu peux voir, je sors tout juste de la douche, puis mes cheveux sont encore mouillés. C’est-tu bien important qu’on y aille à matin? On ne peut pas y aller plus tard, ou à soir à place? Je pourrais demander à Kylian de nous aider à charroyer la poubelle d’eau.
— Je ne peux pas à soir. J’ai quelque chose de prévu avec Romain. Puis ça serait mieux qu’on fasse ça à matin avant que le soleil soit trop fort. Il fait tellement beau. Va t’habiller, je vais t’attendre. Tes cheveux vont sécher vite tout seuls, tu vas voir. S’il te plait Rachel!
Morgane finit par l’avoir à l’usure. Elle alla rapidement enfiler une vieille paire de jeans et un t-shirt rouge, brossa ses cheveux vite fait pour enlever les nœuds, et rejoignit son amie dehors en arrière de sa maison.
La veille, Morgane avait déjà commencé à remplir d’eau la grande poubelle verte qu’elles devront tirer sur une planche à roulettes construite exprès pour la tâche, jusqu’au lopin de terre au bout de la ruelle. Lorsque le plein était fait, Rachel tira sur la corde attachée après la planche, tandis que Morgane l’aida en poussant de son bord.
— As-tu vu ça hier soir, dans le ciel? demanda Morgane, en route.
— J’ai pas sortie hier soir. C’était quoi? T’as vu un o.v.n.i? Ha, ha, ha.
— Ben non! Nounoune! Le ciel était de toute beauté. C’était un… comment t’appelles ça donc?
— Aucune idée de quoi tu parles! répliqua Rachel.
— Ben oui! Tu sais, c’est quand il y a plein de couleurs là. Une horreur boréale!
— Une horreur boréale asteure! dit Rachel en riant à pleine tête. Esti! J’pus capable de tirer! Tu vas me faire pisser dans mes culottes! Une horreur boréale ha, ha, ha!
— Pourquoi tu ris de moi comme ça? C’est toujours ben pas moi qui ai inventé le mot!
— Ça s’appelle une aurore boréale, pas une horreur! Puis je dois te dire que je ne sais pas pantoute ce que t’as vu, mais ça me surprendrait en maudit que ce soit ça! dit Rachel.
— Romain aussi l’a vu, tu sauras! Puis lui aussi a dit que c’était ça.
— Ah bien, si Romain l’a dit! Écoute, je l’avoue, je ne connais rien au jardinage. Je n’ai pas le pouce vert du tout! Puis si j’arrive à récolter une seule carotte, je vais être fière de moi. Mais en ce qui concerne le ciel, je m’y connais un peu. Si je trouve ça invraisemblable, c’est que les aurores boréales c’est habituellement en hiver qu’on voit ça, pas au mois de mai! Puis même là, dans la région on n’en voit pas souvent. C’est dans le nord qu’on en voit le plus. Puis à part de ça, hier c’était beaucoup trop nuageux pour en voir une.
Les deux femmes arrivèrent enfin à l’emplacement de leur jardin. Ce qu’elles virent les rendit complètement bouche bée. Les graines qu’elles avaient semées l’avant-veille avaient déjà commencé à sortir en petites pousses feuillues.
~ ● ¤ ● ~
— Willy! Tu n’es pas encore en train de zieuter la voisine? J’ai beau ne pas être jalouse, ça s’en vient franchement plate pour moi, ce que tu fais là! Je me doutais bien aussi notre différence d’âge finirait par devenir problématique dans notre couple, dit Martyne.
— Ne charrie pas quand même! Tu n’as que deux ans de plus que moi. Puis je ne faisais que regarder dehors, pas nécessairement la voisine. Elle s’est tout simplement adonnée à passer. En fait, question d’être transparent avec toi, quand je l’ai vu forcer après sa poubelle d’eau, j’ai pensé aller lui donner un coup de main, mais je me suis dit, justement, que tu serais jalouse, fait que, comme tu peux voir, je suis resté assis ici, bien sagement.
— En tout cas! Nous n’avons peut-être que deux ans de différence, elle est beaucoup plus jeune que toi, et encore plus que moi. De toute façon, ça me surprendrait qu’elle soit intéressée par un homme de quarante ans! rétorqua Martyne.
— Voyons donc! Rachel en a 35! Ce n’est que cinq ans de moins que moi. Veux-tu bien me dire quelle mouche t’a piquée ce matin! J’ai l’impression d’être encore endormi en train de faire un mauvais rêve.
— Je ne te parlais pas de Rachel! Je te parlais de Morgane! Elle n’a que vingt-huit ans, elle. Mais comment ça tu connais l’âge de Rachel au juste?
— Hey misery! On habite dans un parc de maisons mobiles je te ferai remarquer. Les résidents se croisent souvent, se jasent entre eux, se disent leur âge. On vit à proximité l’un de l’autre. Sérieusement mon amour, je t’aime, mais j’en ai ma claque ce matin. Je vais partir pour le travail tout de suite, avant que ça dégénère ici.
— Bien moi j’en ai ma claque de me faire prendre pour une valise! Non, mais… quand c’est rendu que ton mari connait l’âge de la voisine d’à côté pis qu’il oublie la tienne ta fête, faut pas trop se poser de questions!
— J’ai oublié ta fête une seule fois depuis qu’on est ensemble, puis tu vas vraiment me le renoter jusqu’à ma mort? Toi-même tu l’avais oublié cette année-là tellement on avait des préoccupations dans notre vie. Bye, je m’en vais. On en reparlera tantôt! Ah pis finalement, attend-moi pas pour diner, dit Willy en claquant la porte d’aluminium derrière lui.
Rare fut les fois que Willy ne prit pas son auto pour aller à son ouvrage, mais ce matin-là, il décida d’y aller à pied. Il avait espoir que la marche l’aide à décompresser de son après-réveil brutal. Ça ne lui a pris que dix minutes se rendre au marché où il travaillait comme livreur d’épicerie. Décidément, ça lui aurait pris une marche beaucoup plus longue pour se déchoquer puisque tout de suite en entrant dans le magasin, une cliente âgée lui est rentrée dedans avec son panier, et malgré le fait qu’elle s’est empressée de s’excuser, Willy lui fit un doigt d’honneur bien ressenti.
Heureusement pour lui, la vieille femme n’a pas eu le temps de se rendre au bureau du gérant, au fond du commerce, pour porter plainte. Dans le milieu de l’allée centrale, la dame est tombée raide morte en s’agrippant après une bouteille de ketchup tel un noyé après une bouée de sauvetage.
~ ● ¤ ● ~
Marchant dans la ruelle, pour s’en retourner chez elle après avoir arrosé son jardin, Rachel arriva face à face avec le chien de garde du voisin. Sorti de son parc, il s’est empressé d’aller à sa rencontre. Prise de panique, sa première réaction fut de crier au secours, mais curieusement, contrairement à son comportement habituel, la bête était on ne peut plus docile. Lorsqu’elle s’est ressaisie, Rachel regarda le chien plus attentivement et aurait juré qu’il lui souriait.
Plus à l’aise après son monologue de quelques minutes avec lui, elle prit le berger allemand par le collet et le tira doucement en direction de la maison de son maitre, soit la dernière au fond de la ruelle à gauche.
— Rachel! Qu’est-ce que tu fais avec le chien de Marcel? Fais gaffe! Il peut te mordre, s’exclama Morgane, en s’en retournant chez elle à son tour.
— Pas de danger. Il est tout doux avec moi. Je le ramène chez lui. Il est sorti de son parc, par je ne sais quel moyen. Merci d’être venue aussi vite pour m’aider, en passant. Tu n’as pas l’air trop essoufflée!
— Je le savais-tu moi que tu avais besoin d’aide? Voyons! On dirait que tu cherches la chicane aujourd’hui.
— J’ai crié à l’aide comme une hystérique, puis personne n’est venu. Bizarrement, regarde autour, les fenêtres sont ouvertes chez tout le monde, dit Rachel.
— T’as pas dû crier trop, trop fort! Je t’ai pas entendue!
— Me semble, oui! En tout cas, je vais aller voir si Marcel est chez eux et lui ramener son chien. Vient-en Bruce!
Arrivée devant le parc à chien, Rachel constata que le cadenas était toujours après la porte fermée, tel qu’il se doit. Après une petite inspection, elle conclut que Bruce n’avait pas pu sortir de là de lui-même. Elle était sure que Marcel la verrait sur son terrain et qu’il viendrait la rejoindre, mais ce ne fut pas le cas, donc trainant encore le chien avec elle, elle alla cogner à sa porte. Personne ne répondit, même après plusieurs tentatives.
Rachel tenta d’ouvrir les portes d’entrée, mais elles étaient barrées toutes les deux. Elle fit le tour de la maison pour regarder par les fenêtres qui lui étaient accessibles, pour enfin le voir assis à sa table de cuisine. Elle frappa fort dans la vitre avec une clé de son trousseau sans que l’homme bronche. Soudain, il se leva, sans la regarder, et disparut de son champ de vision.
— Je fais quoi avec toi maintenant? demanda-t-elle au chien en baissant les yeux.
Bruce s’est mis alors à tirer dans la direction opposée de la maison. En relevant le regard vers la fenêtre, elle vit que les rideaux étaient maintenant fermés. En fait, tous les rideaux chez Marcel étaient soudainement fermés.
Chapitre 3
Plutôt que de se rendre chez son dernier client de la journée, Alain Richard décida de souper tôt et d’y aller tout de suite après. Habituellement, travailler jusqu’à tard le soir sans manger ne lui causait pas de stress, mais ce jour-là, il avait grandement besoin d’une pause. Sa dernière nuit d’insomnie y était surement pour quelque chose, car toute la journée il s’est senti à cran. Normalement de tempérament calme et patient, aujourd’hui il avait peine à se reconnaitre lui-même. Il est passé à un cheveu de traiter un client de sans-dessein, du simple fait qu’il ait bouché sa toilette en échappant un tube de crème à main dans le bol alors qu’il tirait la chaine. Il faut dire que c’était la dixième toilette qu’il débouchait depuis le matin. Un moment donné, il en avait ras le pompon de la négligence des gens, pour ne pas dire ras le bol!
Ce soir, il avait un chauffe-eau à changer de toute urgence! C’est ce que la dame de la garderie en milieu familial avait laissé, en grosse panique, comme message sur son répondeur. Ah! Les gens, et leurs supposées urgences! Comme s’il n’y avait pas d’autres façons de réchauffer de l’eau en attendant que le plombier puisse s’y rendre. Le manque de débrouillardise du monde le fit bien rire habituellement, mais aujourd’hui il avait juste le gout de leur sacrer une petite claque en arrière de la tête pour leur remettre le cerveau à la bonne place. « Je suis désolé Monsieur, mais je ne peux pas déboucher vos chiottes avant demain, j’ai un chauffe-eau à changer dans une garderie. Vous n’avez pas de sceau? Alors, vous n’aurez pas le choix que de chier à terre! », s’imaginait-il en train de dire à ses autres clients, pour accommoder une connasse qui ne savait pas comment chauffer de l’eau sur sa cuisinière pour dépanner. Elle ne pouvait pas changer la couche des bébés si elle n’avait pas d’eau chaude, qu’elle disait.
Son repas enfin prêt, Alain s’assit à table pour manger tranquillement le bon pâté chinois qu’il s’était cuisiné la veille, quand tout à coup il entendit le bruit d’une tondeuse. Même s’il voulut rester calme, Alain ne la trouvait pas drôle, mais pas du tout! Il lâcha un grand soupir, se leva et alla à la fenêtre pour voir qui était l’imbécile qui tondait sa pelouse à l’heure du souper.
C’était Jean-François Généreux le coupable. Sa maison mobile se trouvait entre celle de Morgane et d’Alain. Pourtant, il était loin de détenir la réputation d’être un zélé de la verdure, comme certains autres voisins. Il était plutôt du genre à laisser pousser le gazon au point de risquer l’intervention de la ville. D’ailleurs, c’est ce qui fit qu’Alain n’est pas sorti pour l’engueuler. Il prit son mal en patience! Du moins, jusqu’à ce que Jean-François sorte son fouet à gazon. Depuis les nombreuses années qu’il connaissait Jean-François, il ne l’avait jamais vu couper les pousses d’herbes autour de la maison plus d’une ou deux fois par année. Encore là, Alain se voyait mal lui chialer après.
Il se releva pour aller chercher le pot de betteraves marinées du réfrigérateur. Alain était formel là-dessus, on ne peut pas manger du pâté chinois sans betteraves marinées. Avant de se rassoir à table, il jeta un autre coup d’œil chez son voisin, espérant qu’il soit sur le point de finir, mais non! Ce dernier prenait bien son temps, même qu’Alain commençait à penser qu’il faisait exprès pour l’importuner. Il devait bien s’en douter qu’il soupait. Soudain, la colère monta en lui au point de le faire rougir. Il prit machinalement la première chose qui lui tomba sous la main, en occurrence le pot de betteraves, et le lança de toutes ses forces au bout de la pièce, où il se fracassa contre les armoires de cuisine.
Alain sortit de la maison et se rendit chez Jean-François, en martelant le sol à chaque pas. Il arracha de la prise, le fil d’extension jaune relié au coupe-herbe électrique et s’approcha de son voisin. Il lui donna une poussée sur l’épaule qui lui fit reculer de trois pas.
— Heille le cave! Je suppose que t’es pas au courant que c’est l’heure du souper? Tu pouvais pas attendre à demain dans la journée pour faire ça? Ça aurait été le fun de pouvoir manger en paix après une dure journée de travail. C’est ce qu’on appelle faire preuve de civisme! gueula Alain.
— WO dude! C’est quoi ton problème? Il est juste 4 h 30! C’est toi qui manges bien que trop de bonne heure!
— Là je m’en retourne travailler. Pendant mon absence tu vas aller chez nous puis tu vas nettoyer le dégât que j’ai fait dans la cuisine.
— Euh, non! Pourquoi j’irais ramasser ça? demanda Jean-François.
— Parce que c’est de ta faute! C’est toi qui m’as fait pogner les nerfs!
— Non, mais tu me niaises! Checke sur ton camion. C’est écrit Alain Richard, Plombier magique. T’as qu’à faire de la magie puis ça va se nettoyer tout seul! Ha, ha, ha!
— Là je m’en vais changer un chauffe-eau. Quand je vais revenir, le dégât est bien mieux d’être nettoyé! dit Alain en s’en retournant chez lui pour embarquer dans sa camionnette.
— Fie-toi sur moi qu’il le sera pas! cria Jean-François. Non, mais tu te prends pour qui toi là?
~ ● ¤ ● ~
Docteure Sylvie Durocher habitait dans la grande maison à côté du parc de maisons mobiles. Avançant sur le rang Bord de l’eau, conduisant une magnifique Corvette 1981 rouge, elle croisa Alain dans sa camionnette de plombier magique. En bonne voisine, elle lui envoya la main pour le saluer. Ce dernier lui fit un doigt d’honneur, tout à fait gratuitement, lui effaçant le sourire qu’elle s’était forcée à afficher toute la journée. Elle se demandait bien quelle mouche avait piqué les gens! Depuis le matin, elle avait reçu des critiques ou des airs bêtes de la part de ses clients à la clinique vétérinaire, et ce, absolument pour rien! Même que plusieurs des animaux qu’elle avait soignés dans le courant de la journée avaient démontré des comportements inhabituels.
Rendue à la hauteur du parc de maisons mobiles, elle vit un berger allemand attaché après l’attelage de distribution de poids sur le devant de la roulotte à Rachel. Sachant que celle-ci n’était pas propriétaire d’un chien, et trouvant que l’animal ressemblait beaucoup à Bruce, un de ses patients canins, elle décida de s’arrêter un moment.
En sortant de son auto, Sylvie resta sur ses gardes, sure maintenant de reconnaitre le chien. À sa grande surprise, plutôt que de lui montrer ses crocs, comme à son habitude, il branlait la queue pour lui démontrer qu’il était heureux de la voir. Elle ne s’approcha tout de même pas de la bête, mais alla plutôt cogner chez Rachel. Bruce se recoucha sur les dalles de béton, en soupirant, visiblement déçu de ne pas avoir eu l’affection qu’il convoitait.
Sylvie cogna et Rachel ouvrit la porte, mais pas sans hésitation. Elle était en train de souper avec ses fils et le repas du soir était le seul moment de la journée consacré aux vraies bonnes conversations avec eux. Elle n’appréciait guère qu’on les dérange pendant ce temps précieux.
— Bonsoir Rachel. Désolée de te déranger, mais Bruce est un de mes patients. Je reviens tout juste du travail et je suis inquiète de le voir attaché devant chez toi plutôt qu’enfermé dans son parc. Est-ce que Marcel va bien?
Rachel lui raconta que ce matin-là le chien n’était pas attaché, qu’il était dehors sans supervision, et que son maitre avait refusé de lui répondre quand elle est allée cogner chez lui.
— Bruce ne voulait pas y aller. Je le tenais par son collier et il tirait pour s’éloigner de là. J’avais l’intention de retourner chez Marcel avec Bruce après souper, mais si tu veux y aller, libre à toi. Ça me surprendrait qu’il te morde. Il est rendu très docile. Moi je ne m’y connais pas trop en soins canins, mais j’imagine qu’il doit avoir faim aussi. Je n’ai rien à lui donner, dit Rachel.
— OK! Mais lui as-tu donné de l’eau, et si oui, en a-t-il bu? demanda Sylvie.
— Je lui ai mis un bol d’eau. J’ai pas remarqué s’il en avait bu ou pas.
— Bon, alors je vais aller voir Marcel, et s’il ne me répond pas, je vais appeler la Sureté du Québec. Un des deux a peut-être un problème de santé. Bruce restera chez moi pour la nuit. Je veux surveiller son comportement, dit Sylvie, craignant la rage.
— Parfait! Les deux seront entre bonnes mains, j’en suis sure. Tu m’en redonnes des nouvelles? demanda Rachel.
— Oui, oui! Si tu veux! Coudons, je peux te demander pourquoi tu regardes mes cheveux comme ça avec dédain depuis tantôt? J’ai-tu une bibitte dedans?
— Bien non! Je ne les regarde pas avec dédain du tout! En fait, je ne les regardais pas vraiment, du moins, je ne m’en suis pas rendu compte, dit Rachel.
— En tout cas, si ce n’était pas intentionnel, tant mieux, parce que ça s’en venait insultant! Je commençais à me demander s’ils étaient si laids que ça.
— Qu’est-ce que tu dis là, toi? Ils sont très beaux tes cheveux! Tu t’imagines des affaires.
Les deux femmes se souhaitèrent bonne soirée. Sylvie laissa son auto dans l’entrée de cour de Rachel et se rendit à pied jusqu’à la maison de Marcel. Ceci lui donna le temps de remarquer à quel point le gazon et les feuilles dans les arbres étaient d’un vert éclatant. En fait, toutes les couleurs semblaient plus vives, comme si quelqu’un les avait trafiquées dans un logiciel de traitement d’images, pensa-t-elle. Elle avait soudain l’impression de se promener dans un cahier à colorier, ou dans un conte pour enfants. Toute la journée lui semblait invraisemblable, tellement qu’au point où elle en était, elle ne sera pas surprise de croiser un lapin blanc qui parle.
En s’approchant de la maison de Marcel, Sylvie remarqua que tous les rideaux étaient encore fermés. Ensuite, elle vit un carton collé dans la fenêtre de sa porte d’entrée. Elle accéléra le pas, curieuse de lire ce qui était marqué.
Marcel avait découpé une boite de céréales et avait écrit en crayon-feutre rouge :
Allez-vous-en! Je vais TRÈS bien! Respectez mon mutisme. Bruce fait ce qu’il veut.
Marcel
Sylvie resta plantée là, devant la porte quelques secondes, ne sachant plus trop quoi faire. Finalement, elle décida d’appuyer sur la sonnette, malgré les volontés de son client. Le pire qu’il pourrait arriver, se dit-elle, c’est qu’il l’ignore, comme il l’a fait à Rachel ce matin. Jamais elle ne se serait doutée que cet homme, habituellement si gentil, pourrait la regarder droit dans les yeux à travers la fenêtre de sa porte, et lui pointer un pistolet en direction de la tête. Tremblante de peur, elle courut jusqu’à son auto. Elle ouvrit la porte, et juste au moment où elle allait s’assoir dedans pour s’en aller chez elle le plus rapidement possible, Bruce s’est mis à chigner.
— Ah merde! Je t’ai presque oublié là, dit-elle en sortant de son véhicule.
Elle détacha le chien, et plutôt que de le laisser embarquer dans son auto, elle l’amena à pied chez elle, où elle l’attacha après son poteau de corde à linge dans sa cour. Elle retourna chercher la Corvette par la suite.
Étant vétérinaire, elle recevait souvent des échantillons de nourriture pour animaux. Elle alla dans son garage, ouvrit le couvercle d’un gros bac bleu en plastique et sortit un sac de croquettes pour chien à saveur de foie et agneau. Ensuite, elle fouilla dans des boites rangées sur une étagère et trouva une vieille batterie de cuisine. Elle sortit deux petites casseroles. Ensuite, elle mit de la nourriture dans une des deux casseroles, et de l’eau dans l’autre, qu’elle posa par terre à côté d’une pile de vieilles couvertures qui trainaient dans un coin. Elle jeta un coup d’œil alentour pour s’assurer qu’il n’y avait rien qui pourrait blesser le chien, et alla le chercher pour qu’il puisse y passer la nuit.
Bruce suivit Sylvie volontiers. Affamé, aussitôt qu’il entra dans sa nouvelle demeure, il se jeta sur son bol de bouffe et engloutis son contenu en entier. Ensuite, il s’abreuva goulument, en branlant la queue.
Lorsqu’il eut fini, Sylvie alla dans la maison chercher ses instruments médicaux et retourna auprès du chien pour l’examiner. Maintenant que son inquiétude initiale qu’il soit atteint de la rage fut écartée, elle décida d’aller faire une petite marche avec lui, question d’activer son système digestif avant de l’enfermer dans le garage pour la nuit.
~ ● ¤ ● ~
En arrivant dans la ruelle après sa journée de travail, Alain a dû arrêter sa camionnette pour ne pas écraser Ti-Brun, le chat de Jean-François, qui traversait tranquillement le chemin. Alain sortit sa tête du véhicule et cria à tue-tête :
— Envoie Ti-Brun! Rallonge tes pas si tu veux pas raccourcir ta vie! Ha, ha, ha! Généreux! J’espère que t’as ramassé le dégât! Un accident, c’est si vite arrivé!
~ ● ¤ ● ~
Revenue de sa promenade, Sylvie amena le chien dans le garage, mais il se mit à chigner aussitôt qu’elle ouvrit la porte pour entrer dans la maison. Visiblement, il ne voulait pas rester seul.
— Ah! Ne me regarde pas comme ça avec de l’amour dans les yeux! Tu dors ici, dans le garage, et moi dans la maison. Un point c’est tout! Mais… attends un peu… tu trembles! Tu as peur?
Bruce s’avança vers la porte et s’assit devant en guise de réponse.
— Bon! D’accord, tu peux entrer, mais pas question que tu couches dans mon lit! Ne t’essaie même pas, parce que tu vas retourner dans le garage.
Bruce se rendit directement dans la chambre de Sylvie, et se coucha par terre, à côté du lit. Sylvie, elle, alla dans la salle de bain pour se doucher, mais avant, elle ouvrit le tiroir du haut de la vanité et sortit une paire de ciseaux et un peigne. En se regardant dans le miroir elle se dit que dorénavant, personne n’aura dédain de sa tignasse! Elle empoigna fermement les ciseaux et coupa sa belle longue chevelure blonde à environ trois centimètres du crâne.
Chapitre 4
Yamaska, jour 2
Cher Journal,
Je n’aurais jamais pensé faire ça un jour! Écrire dans un journal intime, je veux dire. C’est pour les femmes en mal d’amour ces choses-là. En passant, moi c’est Marcel, le père de… Ouin, à bien y penser, je suis peut-être mieux de pas écrire son nom. Ils m’ont averti de ne pas en parler. Ça veut dire que j’ai deux choix, sois que je vis mon deuil tout seul comme un rejet de la société, sois que je le vis avec toi. On vieillit tous avec l’idée magique que nous allons passer de l’autre bord bien avant nos enfants. Je suis ici pour te dire que c’est faux! J’en avais rien qu’un, le pire! J’peux même pas lui offrir des funérailles. Ils m’ont ôté la seule chose que j’avais de précieux au monde. Mon petit gars… il savait pas lui qu’il fallait pas le dire, même à son père, c’t’un enfant! Bon, c’est vrai que c’était pus ben, ben un enfant, mais à 18 ans on a encore le nombril bien vert! C’est pas comme s’il était allé raconter ce qu’il a vu à tout le monde au village. La seule personne à qui il l’a dit c’est moi. Fait que là si j’veux pas me retrouver à la même place que lui, il faut que je me taise aussi! Mais, je t’avoue que depuis sa mort, il se passe quand même des secousses où j’ai le gout de le raconter ce qu’il m’a dit et d’aller le rejoindre. Puis là, ben, c’est la frousse qui me pogne quand je m’imagine que ça risque d’être pas mal pire après.
~ ● ¤ ● ~
Isabelle Lacombe avait un atroce mal de tête qui ne la lâchait pas depuis son réveil, la veille. Elle avait pris des acétaminophènes, des ibuprofènes, et il y a trente-cinq minutes des Naproxens, mais rien ne la soulageait.
— Tu devrais peut-être aller consulter, lui dit sa coloc et meilleure amie Suzanne Gingras.
— Bien non! J’irai pas contribuer à engorger la salle d’urgence juste pour un mal de tête. Ça va finir par passer, dit Isabelle en se massant le front d’une main et la nuque de l’autre.
— Bon, bien puisque tu as encore mal, je vais aller avertir la gang que le party de karaoké de ce soir est annulé.
— Ah merde! C’est à soir ça! C’est donc bien poche. Écoute, n’annule rien à cause de moi. Je vais aller coucher dans un motel pour la nuit, dit Isabelle.
Au début, Suzanne ne voulait pas accepter, se disant que son amie n’avait pas à se sacrifier comme ça, qu’elles pouvaient tout simplement remettre la fête à un autre jour, mais Isabelle insista. Ça faisait plusieurs semaines que cette soirée était planifiée et elle ne voulait pas décevoir tout le monde.
— C’est décidé! Je vais aller me préparer un sac de nuit et y aller tout de suite. Comme ça tu seras plus à l’aise pour faire les derniers préparatifs sans avoir peur que le bruit me dérange. Je vais passer la journée au lit, ça va me remettre sur le piton. J’ai surement juste une accumulation de fatigue. Promets-moi par exemple de prendre plein de photos et de filmer les meilleures performances!
— Oui, oui! Je te promets de prendre plein de vidéos. Dis-moi donc, Jean-François t’a-tu dit s’il comptait venir finalement? demanda Suzanne, en cachant très mal sa timidité.
— Ha, ha! Il te plait! Petite cachetière va! s’exclama Isabelle.
— Je suis juste curieuse de savoir qui compte venir, c’est tout.
— Si t’étais juste curieuse, pourquoi tes joues sont devenues rouges, la taquina Isabelle. Bien oui, aux dernières nouvelles il avait l’intention de venir, mais ça fait une couple de jours que je ne l’ai pas croisé.
— Je l’ai vu par la fenêtre hier soir. Il était en train de se pogner avec Alain. Je ne peux pas vraiment le désinviter celui-là fait que j’espère qu’il ne viendra pas faire la chicane ici. Je me demande bien quelle mouche les a piqués!
— Tu peux toujours passer le mot à tout le monde, que tu ne veux pas de chicane ici ce soir, sans pointer personne. En tout cas, moi je vais aller préparer mon sac de nuit, et je vais aller au motel tout de suite après, dit Isabelle.
La migraineuse alla dans sa chambre à l’autre extrémité de la maison. Un miroir pleine grandeur était collé à l’intérieur de sa porte. En la refermant derrière elle, l’instant d’une seconde, elle crut voir son reflet se dédoubler, comme si on avait fait glisser son image pour découvrir une autre image d’elle, plus âgée, en dessous. Elle cligna des yeux quelques fois pour chasser cette vision troublante, mettant ça sur le dos du mal de tête.
Elle ouvrit sa porte de garde-robes et se leva sur la pointe des pieds pour agripper son sac de nuit rangé sur une tablette dans le haut du placard. La dernière chose qu’elle se souvint plus tard, c’est l’intensification soudaine de sa douleur qui lui martela le crâne, et de conclure qu’elle serait mieux de se rendre directement à l’urgence, en ambulance. Elle sortit son téléphone cellulaire de sa poche de pantalon, mais finalement elle n’a pas eu besoin d’appeler les secours, puisque soudain, l’atroce douleur disparut aussi vite qu’elle était apparue. Elle se regarda dans le miroir une dernière fois, et sortit de sa chambre à coucher, sac de nuit en main. En sortant ensuite de la maison, elle ignora complètement Suzanne, ses bons souhaits, et ses salutations.
Suzanne trouva le comportement de sa colocataire étrange, surtout du fait que depuis leur tendre enfance, alors qu’elles étaient devenues meilleures amies, elles avaient pris l’habitude de se donner un câlin avant de se quitter pour plus de quelques heures. Cependant, elle ne s’attarda pas trop là-dessus pour le moment. Elle venait de voir son voisin Jean-François sortir de sa maison pour aller en direction des boites aux lettres communautaires au bout de la ruelle. À la presse, elle fouilla dans son sac à main qui était accroché après le portemanteau à l’entrée, et sortit une grosse brosse à cheveux ronde, qu’elle passa trois, quatre fois dans sa longue chevelure châtaine ondulée. Ensuite, elle sortit de chez elle, comme si de rien n’était, et alla rejoindre son voisin en faisant semblant d’aller voir si elle avait reçu du courrier.
— T’étais au courant que le facteur passe juste une fois par jour? demanda Jean-François.
— Salut JF! Bien sûr que je le sais! Pourquoi me poser cette question?
— C’est parce que c’est la deuxième fois ce matin que tu viens chercher ta malle, puis tu es repartie avec une enveloppe plus tôt, répondit Jean-François.
— Ah OK! Ha, ha, ha! C’est parce que plus tôt je n’étais pas sure si le facteur était passé. L’enveloppe qui était dans ma boite était là depuis hier, mentit-elle.
— Ah! Moi qui espérais que tu t’étais trouvé une excuse pour me parler. J’aurais bien dû me douter que j’ai pas assez d’allure pour attirer l’attention d’une charmante et jolie demoiselle comme toi, dit Jean-François, en balayant le sol nerveusement avec son pied.
— Ben voyons donc! Rabaisse-toi pas comme ça! En passant, penses-tu toujours venir à mon party karaoké à soir?
— Euh, je ne sais plus trop là. Alain va-tu être là? Parce que le moins que je lui vois la face à celui-là, le mieux que je me porte.
— Je ne pense pas qu’il vienne. Du moins, il ne m’a rien confirmé encore. Mais j’ai bien l’intention de lui dire, à lui comme à tout le monde, que je ne tolèrerai aucune chicane chez nous de la part de personne!
— OK! Bien, je vais peut-être aller faire un petit tour finalement. Au pire, s’il est là, je m’en retournerai chez nous. Attends-toi pas à ce que je chante par exemple! J’aime mieux laisser ma place à ceux qui ont des belles voix, comme Peggy, justement! dit Jean-François.
— Peggy? Tu parles de la chanteuse Peggy Lee?
— Ben non! Ha, ha, ha! Je parle de Peggy Trépanier, notre voisine, dit-il en la pointa du doigt alors que celle-ci s’avançait dans leur direction.
— Ah? Je ne savais même pas son prénom. C’est toujours à Joey, son mari, à qui j’ai parlé dans le passé.
Peggy était une femme de 38 ans, légèrement dodue, aux cheveux très courts, teints fuchsia. Elle habitait avec son mari, et son fils unique de 17 ans, dans la dernière maison mobile, au bout de la ruelle, à côté d’Alain. Ceux qui ne la connaissaient pas bien pouvaient croire que sa difficulté à socialiser, et son incapacité lors de certaines situations étaient dues à de la timidité, d’autres la traitaient de sauvage, ou d’excentrique, certains allaient même jusqu’à la traiter de crisse de folle! En réalité, elle était atteinte d’autisme de haut niveau. Ce n’est qu’à l’âge de 36 ans qu’elle reçut enfin son diagnostic, après avoir passé toutes ces années à secrètement se croire sociopathe. Bien qu’elle fût quand même très fonctionnelle, quand on se donnait la peine d’apprendre à la connaitre, on découvrait davantage les nombreuses complexités qui la rendaient si différente des autres.
Normalement, Peggy aurait attendu que ces voisins soient retournés chez eux avant de sortir pour aller mettre son sac de déchets dans le gros conteneur de vidanges à côté des boites postales, à l’entrée de la ruelle, mais depuis l’évènement d’il y a deux nuits, auquel son mari et elle avaient assistés, elle avait la tête ailleurs. Joey avait changé depuis. Il était devenu plus… en fait, il était devenu moins… elle n’arrivait pas à décrire exactement ce qu’il avait de différent. Ce n’était plus son même Joey. Elle avait plus l’impression de parler à son frère jumeau, sauf que c’était impossible, puisqu’il était enfant unique. Peggy composait très mal avec les changements! Bien que ce ne soit toujours pas son cas, elle avait très peur de changer elle aussi.
— Bon matin Peggy, dit Suzanne. Ça tombe bien qu’on se croise. Je voulais savoir, penses-tu que toi et Joey allez venir à mon party de karaoké ce soir?
— Ah ouin? C’est à soir ça? Je sais pas trop. Faut-tu que je te le dise tout de suite? Parce que pour être franche avec toi, pour le moment, je ne pense pas avoir trop le gout de chanter, et Joey encore moins.
— Il se passe rien de grave, j’espère? Es-tu malade? T’as l’air fatiguée, remarqua Jean-François.
— Non, je suis pas malade, mais fatiguée oui. Ça fait deux nuits que je n’arrive pas à dormir à cause de ce qui s’est passé là-bas, dit-elle en pointant vers le ciel en direction de sa maison.
— Quoi ça au juste? demanda Suzanne, perplexe.
— Vous avez pas vu ça vous autre? Vous dormiez surement, conclut Peggy.
— Qu’est-ce qu’on est censé avoir vu? demanda Jean-François.
Juste au moment où Peggy allait en dire trop, elle aperçut son mari qui avançait dans la ruelle. Lorsqu’il vit qu’elle regardait dans sa direction, il s’arrêta et cria :
— T’en viens-tu? Je commence à avoir faim moi-là!
— Désolée, faut que j’aille faire à diner, dit Peggy en s’empressant de rejoindre son mari.
— Si tu changes d’idée pour le party, t’as qu’à venir! Joey aussi, lui cria Suzanne.
Jean-François et Suzanne restèrent plantés là le temps qu’un petit malaise s’installe, causé par leur timidité de ne plus trop savoir quoi se dire.
— Bon bien, moi je vais y aller! s’exclamèrent les deux voisins en unisson, ce qui les fit rire nerveusement.
~ ● ¤ ● ~
Peggy n’eut pas eu le temps de se déchausser que Joey l’empoigna par un bras et la fit tourner, pour qu’elle le regarde.
— Qu’est-ce que tu leur as dit?
— J’ai rien dit! Lâche-moi! ordonna Peggy.
— Tu as l’audace de me mentir en pleine face en plus!
— Ne fais pas ça Joey. Je t’en prie, il faut absolument qu’on se fasse confiance l’un l’autre, sinon ça va nous détruire. Je n’ai rien dit, et je ne dirai rien.
Joey la regarda dans le creux des yeux un moment, comme si ceux-ci lui disaient le contraire.
— Jure-le-moi sur la tête de ton fils! cria Joey en lui serrant les deux bras à présent, encore plus fort.
Peggy le regarda maintenant avec des fusils dans les yeux et lui dit :
— Jamais je ne jurerai quoi que ce soit sur la tête d’Édy, puis tu le sais très bien! Là je t’avertis, je suis sur le bord de te péter une méchante coche! Lâche-moi!
La dernière chose que Joey avait de besoin à cet instant, c’est que sa femme se mettre à crier, puis a tout garrocher dans la maison, comme il lui arrivait de faire les rares fois qu’elle était en crise. Il lui relâcha les bras et sans rien dire de plus, alla dans la salle de bain pour s’asperger le visage d’eau froide. Il reconnut à peine sa propre réflexion dans le miroir. Il avait plus l’impression de regarder le visage de son père, tellement il y avait de nouvelles rides qui étaient apparues depuis l’évènement. En peignant ces longs cheveux châtains par en arrière pour en faire une queue de cheval, il remarqua qu’il avait une veine très gonflée en plein milieu du front. Bien qu’il avait eu les cheveux longs toute sa vie, il eut soudain une envie folle de se les raser. Au moment où il ouvrit le tiroir de la vanité pour sortir le rasoir à cheveux appartenant à Edy, Peggy cogna à la porte.
— Viens-tu diner? Ça va être froid et je te rappelle que le four à microondes ne fonctionne plus!
— Ben là! Ça doit pas être sur le bord d’être froid certain! On vient d’arriver v’la cinq minutes. On mange quoi?
— Tu manges du Hamburger Helper. Moi j’ai déjà mangé.
Joey la regarda perplexe. Devinant par son air qu’il devait se demander comment elle aurait pu faire le diner aussi rapidement, encore moins le manger, elle lui répondit :
— Ça fait trente-cinq minutes que tu es dans la salle de bain Joey.
Le couple alla dans la cuisine. Joey prit une bouchée des pâtes Stroganoff sans s’assoir.
— C’est tiède, dit-il, en repoussa l’assiette. J’ai pas très faim de toute façon.
— T’étais pourtant pressé de me faire revenir à la maison pour te le préparer ton maudit diner! Là, assieds-toi, s’il te plait! On va jaser calmement toi pis moi, dit Peggy en se tirant une chaise. On a des choses à régler!
Le couple discuta pendant un peu plus d’une heure. Ils établirent des nouvelles règles, sur comment se comporter entre eux. Ils décidèrent aussi ce qu’ils allaient tenter de faire maintenant que l’évènement s’était produit. Mais lorsque vint le temps d’aller au party de Suzanne, ils avaient tout oublié de cette conversation.