La liberté d’expression ou domination ordinaire ?
Aujourd’hui, le franc-parler est souvent célébré comme une qualité rare : celle des gens « vrais », qui n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent. Une parole soi-disant brute, directe, sans détour. On admire ceux qui « n’ont pas leur langue dans leur poche », qui « n’y vont pas par quatre chemins ». Pourtant, derrière cette franchise affichée, se cache parfois tout autre chose : non pas du courage, mais du confort ; non pas de la liberté, mais du pouvoir.
Quand « dire les choses » devient une prise de pouvoir
Le franc-parler est-il un acte d’honnêteté, ou un moyen de prendre l’ascendant sur l’autre ?
Dans bien des cas, il sert à clore la discussion, pas à l’ouvrir. À couper court plutôt qu’à construire. On affirme, on tranche, on assène. Sous couvert de franchise, on écrase — souvent sans s’en rendre compte — ceux qui n’ont ni la même force, ni le même aplomb, ni parfois même la possibilité de répondre.
Ce qui est présenté comme de la liberté d’expression est parfois une manière bien déguisée de dominer l’espace. Car dans le franc-parler tel qu’il est souvent pratiqué, il y a une asymétrie : l’un parle fort, l’autre encaisse.
La franchise sans filtre : sincérité ou paresse ?
Il est bien plus facile de dire ce qu’on pense que de penser ce qu’on dit. Le franc-parler devient alors une forme de paresse intellectuelle et émotionnelle :
- On ne prend pas le temps de formuler autrement,
- On ne s’interroge pas sur l’impact,
- On ne cherche pas à comprendre l’autre, mais à se soulager soi.
Ce n’est pas du courage, c’est parfois du confort. Un confort qui fait passer l’impulsivité pour de la transparence, et l’égo pour de la vérité.
Et si la vraie force, c’était la nuance?
Il faut du courage pour parler avec franchise. Mais il en faut davantage encore pour parler avec justesse. Le vrai franc-parler ne se mesure pas au volume de la voix ni à la brutalité des mots, mais à la capacité de dire ce qui compte sans blesser inutilement, sans humilier, sans s’exempter de responsabilité.
Dans une société qui confond brutalité et clarté, oser la nuance est un acte subversif. Peut-être que la véritable liberté d’expression n’est pas de tout dire n’importe comment, mais de savoir quand parler, comment dire, et pourquoi on le fait.