Chapitre 1
Couchée dans son lit, dans son nouveau logement à Saint-Joseph-de-Sorel, Shelby se réveilla en pleurs dans le milieu de la nuit. C’était devenu une habitude depuis son départ de Parados il y a huit ans. Cette fois, par contre, ce n’était pas un cauchemar qui l’avait tirée des bras de Morphée, mais un beau rêve d’amour.
Elle se leva difficilement, mais la douleur qu’elle ressentit dans ses os n’était pas si pire, comparer à bien d’autres nuits. Elle enfila sa robe de chambre et s’assit dans son fauteuil roulant. Elle hésita plusieurs secondes avant de prendre le paquet de cigarettes qui se trouva sur sa table de chevet, se disant qu’elle devait absolument cesser de fumer. Elle ne fumait pourtant pas avant son retour de ce satané village de Parados. C’était la faute à Guillaume ça! Avec tout ce qu’il lui avait fait subir depuis leur retour, Shelby avait succombé à la tentation de griller sa première cigarette depuis des décennies, espérant que celle-ci lui donne la fausse impression d’apaiser sa nervosité grandissante.
Shelby roula jusqu’à sa porte d’en avant, et au moment où elle l’ouvrit, une forte odeur musquée lui remplit les narines. Elle allait refermer la porte aussi raide lorsque sa voisine de l’appartement d’à côté toussa, lui indiquant que la puanteur ne venait pas d’une moufette, mais plutôt d’un cannabis fort odorant!
— C’est pas moi qui t’ai réveillée j’espère? demanda la voisine entre deux quintes de toux.
Elle était assise sur la marche du haut du petit escalier en bois qu’elle partageait avec le logement de Shelby. Les voisines avaient toutes les deux aménagé ce vieux duplex le mois précédent. Elles s’étaient croisées depuis, mais ne s’étaient pas encore présentées.
— Non! J’ai fait un mauvais rêve, c’est tout. C’est chose habituelle chez moi.
— Moi, c’est l’insomnie qui m’amène souvent dehors dans le milieu de la nuit. Je fume un petit pétard, ça m’aide à m’endormir, enfin, des fois. Moi, c’est Magnolia-Rose, en passant. Mes proches m’appellent Lia.
— Moi, c’est Shelby. Mes proches ne m’appellent plus.
— Ah? Je ne sais pas trop quoi répliquer à ça. Je suis désolée s’il y a lieu de l’être.
— Non, tu n’as pas à l’être. C’est moi qui suis désolée. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça.
— La solitude te pèse peut-être? As-tu de la famille ou des amis dans la région?
— Pas vraiment, non, mais « all work and no play makes Jack a dull boy. »
— Pardon?
— J’ai un ex, en fait, c’était l’amour de ma vie, mais il est devenu fou suite a un enchainement d’évènements qui sont en grande partie de ma faute. Bref, depuis, il est devenu obsédé par un personnage de Stephen King. Il passait son temps à me répéter cette réplique du personnage Jack Torrance de son livre The Shining. Un bon matin, j’en ai eu assez, et suis déménagé ici, le laissant seul à Lévis avec ses délires.
Aussitôt dit, aussitôt regrettée! Sa solitude grandissante était surement responsable de cette confidence faite à une pure inconnue, mais elle devra faire gaffe dorénavant de ne pas inviter les gens à entrer de la sorte dans sa vie privée. Sa sécurité en dépendait! En fait, même si la version qu’elle a donnée à sa voisine était quelque peu altérée, lui avoir mentionné le nom de la ville où elle avait laissé son mari pourrait la rendre plus facile à retrouver.
— Ah bon! Alors tu n’as personne pour s’occuper de toi? Je veux dire, ça ne sera pas facile d’habiter ici seule dans ta condition, sans recevoir l’aide de personne. J’espère que tu ne comptes pas me le demander! Je vais être directe avec toi. C’est pas que je ne suis pas serviable, mais je ne veux juste pas que tu te fies sur moi pour être toujours disponible pour te secourir. Parce que, moi ça ne parait peut-être pas comme toi, mais j’ai aussi mes propres problèmes, tu comprends? Ça ne nous empêchera pas de devenir des bonnes amies pour autant.
— Oui! Le message est on ne peut plus clair. J’en ai un aussi pour toi, question d’établir les règles de bon voisinage entre nous tout de suite en partant. Je ne compte pas te demander de l’aide, jamais! Pour ce qui est de devenir ta bonne amie un jour, c’est à mon tour de te dire de ne pas te fier là dessus. Tu vois, j’ai la ferme intention dans ma nouvelle vie de favoriser les gens qui ne se câlissent pas de moi, dit Shelby, en éteignant délicatement sa cigarette inachevée. Elle l’a remit dans son paquet et se tourna pour ouvrir la porte.
— Tu rendre déjà? demanda Lia-Rose. T’as pratiquement pas fumé ta cigarette.
— Je vais aller la terminer sur le perron en arrière, répondit sèchement Shelby, en tournant la poignée de porte.
— C’est pas moi qui te fais fuir j’espère! C’est plein d’araignées en arrière.
Shelby hésita un moment, vu sa grande phobie de ces insectes, et rentra dans la maison sans rien ajouter, résignée à abandonner le projet de se boucaner les poumons. Dans le fond, c’était aussi bien de même, se dit-elle. Cependant, question de satisfaire sa curiosité, elle alla quand même jeter un coup d’oeil par la fenêtre de sa porte de derrière, sans toute fois allumer la lumière dehors. Effectivement, Lia-Rose avait dit vrai! Devant ses yeux, suspendue à un travers, sous la toiture du perron, une demoiselle bien dodue à longues pattes noires était occupée à tisser sa toile. Focalisant sur l’arachnide, elle referma les petits rideaux de coton carreautés roses et blancs, couvrants la fenêtre d’un coup sec non seulement pour ne plus voir l’insecte, mais aussi le gros berger allemand noir qui l’observait, assis dans la pénombre de la nuit, en bas des marches du perron.
Une main placée sur son épaule fit sursauter Shelby.
— Qu’est-ce que tu fais là? Par quel droit tu entres chez moi sans cogner?
— Je suis désolée Shelby! J’ai cogné plusieurs fois, mais tu ne semblais pas m’entendre. J’ai entre ouvert la porte, et j’ai crié ton nom, mais tu ne me répondais toujours pas. J’ai cru que tu n’allais pas bien. Tu réalises que ça fait une heure que tu es assise là, immobile, devant la porte fermée? J’étais inquiète!
Sans lui donner d’explication, principalement du fait qu’elle n’en avait pas à lui offrir, Shelby regarda l’heure affichée sur le cadran numérique de sa cuisinière. S’efforçant de me pas laisser son incompréhension et sa peur transparaitre, elle lui demanda ce qu’elle lui voulait à l’origine.
— Je voulais juste m’excuser et t’expliquer la raison de mon commentaire de tout à l’heure.
— Magnolia-Rose, tu ne me dois pas d’explication! T’inquiètes, je ne suis pas du genre à déranger le monde avec mes problèmes de santé. Je vais me satisfaire des services que le 1C.L.S.C. va bien vouloir me fournir.
— D’accord, ça me rassure pour toi. Mais je t’en prie, si jamais je suis là et que tu as besoin d’aide pour quoi que soit, n’hésite pas à me le demander. Je ne suis pas vraiment aussi sans-cœur que je le prétends. C’est juste que…
— C’est beau! On oublie tout! Maintenant, je vais te demander de m’excuser. Je vais essayer de dormir un peu.
1 – Au Québec, un C.L.S.C., c’est-à-dire un centre local de services communautaires, est un organisme public qui, entre autres, offre le maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées.
~ ● ¤ ● ~
Deux heures après s’être recouchée, Shelby se réveilla en sueur, le coeur battant la chamade. Elle avait rêvé à Mallow, le berger allemand qu’elle avait adopté jadis, alors qu’elle venait d’emménager à Parados. Dans son cauchemar, le chien était recouvert de sang, chignait, et reniflait partout dans cet ancien petit village dans le but de la retrouver, elle, sa maitresse. Shelby, l’appelait par son nom, lui courrait après, mais c’était peine perdue! Le chien ne la voyait pas.
Shelby se releva à nouveau, s’installa dans sa chaise roulante, et se rendit à la salle de bain. Bien qu’elle envisagea de simplement se rafraichir avec une débarbouillette, elle opta finalement pour une bonne douche à l’eau tiède. Elle se savonna généreusement de son nouveau savon artisanal à fragrance de fleur d’oranger, aux vertus relaxantes et apaisantes. La vendeuse est allée même jusqu’à dire que ce savon règlerait ses troubles d’insomnies. Lorsque Shelby lui avait demandé quel savon elle devait prendre pour chasser ses cauchemars récidivants, visiblement impuissante, elle avait simplement haussé les épaules.
Shelby réussit à dormir un bon six heures en ligne par la suite. Elle n’était pas encore prête à donner tout le mérite au savon, mais garda quand même l’esprit ouvert, étant une femme qui ne croyait pas trop au hasard. La première chose qu’elle alla faire, après son premier petit pipi du matin, bien, c’est d’aller noter le fameux savon sur sa liste d’achats à faire, aimantée sur son réfrigérateur. Lorsqu’elle vit le mot guimauves déjà inscrit sur la liste, dans une main d’écriture qu’elle ne reconnaissait pas, elle lâcha un cri de mort, s’est mise à trembler comme une feuille et échappa le stylo.
Deux minutes plus tard, Lia sonna à sa porte d’en avant, mais Shelby resta figée sur place. La peur l’empêcha de sortir de la cuisine pour lui ouvrir. Elle osa à peine respirer, jusqu’à ce qu’elle voit sa voisine à la porte arrière.
— Shelby! Ça va?
— Oui, oui! fit Shelby en ouvrant la porte. J’ai eu une sacrée frousse, voilà tout.
— Quand je t’ai entendu crier, j’étais sure que tu étais tombée. Veux-tu bien me dire ce qui t’a fait aussi peur?
— Resterais-tu prendre un café avec moi? demanda Shelby. Me semble que ça me ferait du bien d’en parler à quelqu’un. Si je ne te dérange pas, bien entendu! J’ose pas en parler aux p’tites madames du C.L.S.C., un plan pour qu’elles me fassent interner!
— D’accord! Sauf que je vais te prendre une tisane, si tu en as, quelque chose de fruité de préférence. Un simple thé ferait mon affaire aussi, s’empressa d’ajouter Lia.
Les deux femmes s’installèrent à table avec leur breuvage, une tisane à la menthe poivrée pour Lia, et un café moka crème pour Shelby. Cette dernière raconta les derniers évènements, soit l’apparition de son défunt chien, et l’inscription sur sa liste d’épicerie.
— J’me demande si ça ne serait pas le nain que j’ai vu roder autour du bloc l’autre soir.
— Répète-moi donc ça! s’exclama Shelby, stupéfaite de ce qu’elle venait d’entendre. T’as vu un nain rôder autour? Quand au juste, et de quoi avait-il l’air.
— Ben oui! C’était quand donc… Avant hier, ou la nuit d’avant, j’suis plus trop sure. Il avait l’air de vouloir grimper sur le côté de ton balcon. J’imagine que c’était pour écornifler par ta fenêtre de salon sans passer par les marches, de peur de se faire voir. Je suis sortie juste au bon moment! Quand je l’ai aperçu, je lui ai demandé qu’est-ce qui faisait là! Il m’a répondu qu’il voulait juste voir dans nos bacs de récupération s’il y avait des bouteilles vides. Je lui ai fait remarquer que les bacs étaient sur le côté de la maison vers l’arrière, pas sur ton balcon, et qu’il n’avait rien d’un clochard!
— Et justement, son apparence?
— Bien, il avait l’air d’un nain! Cheveux foncés, il me semble. À part ça, je ne sais pas quoi te dire. Écoute, c’était le premier nain que je voyais de ma vie, en vrai je veux dire, et c’était le milieu de la nuit. En fait il m’a fait peur en me disant son nom. Thomas Hewitt qu’il s’appelle, tu sais comme dans les films de massacre à la tronçonneuse?
— Thomas Hewitt! répéta Shelby a basse voix, comme si le dire tout haut le convoquerait. J’en reviens pas! Comment est-ce possible?
— Bon! Je dois te dire que je ne suis pas le genre de voisine à me mêler de ce qui ne me regarde pas, contrairement à l’impression que j’aurais pu t’avoir donnée. Je dois aussi te dire que ce trait de ma personnalité prend le bord dès que j’ai l’impression de ma sécurité peut possiblement être mise à l’épreuve. Donc, je te demande de bien vouloir me dire ce qui se passe ici avec tous les détails possibles, parce que ma petite alarme intérieure est en train de sonner comme jamais auparavant!
— Désolée Lia, mais je ne te connais pas. Je veux bien apaiser ta crainte, mais je ne peux pas t’en raconter davantage. Je ne peux pas faire confiance à quelqu’un que je viens à peine de rencontrer. Ça serait trop risqué pour toi et dangereux pour moi, sans compter ceux que j’aime le plus au monde. De toute façon, ça me surprendrait bien gros que tu me croies à ce stade-ci. Non, tu vas devoir te contenter de ce que je t’ai déjà dit.
— Écoute, écoute, écoute! Tu n’es pas la seule à avoir un passé et une histoire qu’il vaut mieux ne pas raconter! Je pourrais t’en dire bien des choses moi aussi. Des choses tellement invraisemblables que je ne pense pas que tu me crois non plus. Attends! J’y pense là… Attends, attends, attends! Non, ça se peut pas! Ça serait trop grave! Laisse faire ça. J’ai rien dit. Je pense que je ferais mieux de m’en retourner chez moi.
— Non! S’il te plais, ne te sauve pas! Dis-moi de quoi tu parles au juste! demanda Shelby. Maudit que j’haïs ça quand le monde commence à dire de quoi, mais ne finit pas!
— Bien! C’est juste que je commence à me demander… Maudit que j’aime pas ça! Et si nos histoires avaient quelque chose en commun? Nous avons peut-être le même vécu, ou du moins un vécu similaire! dit Lia.
— Oh! Ça me surprendrait énormément! répliqua Shelby en se rendant au comptoir de cuisine pour se faire un autre café.
— OK! On va faire un test pour voir. Si je te dis les mots « cristaux bleus », ça te dit-tu quelque chose?
Shelby échappa sa tasse d’eau par terre, et sans essuyer son dégât, se tourna, et dévisagea Lia quelques secondes avant de sortir son pistolet, un petit Ruger LC9s, caché derrière son dos. Elle pointa l’arme en direction de sa voisine et lui cria :
— Là ça fait le niaisage! Tu vas me dire tout ce que tu sais!
— Commence par te calmer et range ton arme. Je suis du même bord que toi. Même que j’ai bien peur qu’on n’ait pas le choix ma belle. Nous allons devoir devenir des alliées, dit Lia-Rose. Ensuite, en chuchotant, elle ajouta :
— Je ne sais pas si tu es au courant, mais il se passe actuellement quelque chose de bizarre à Yamaska. Selon ma source, il semblerait que ce soit possiblement relié aux fameux cristaux.
Chapitre 2
Assise à sa table de cuisine, en train de boire son premier café de la journée, Rachel, la belle Maskoutaine pulpeuse aux cheveux noirs, contemplait le soleil se lever doucement par la grande fenêtre à côté d’elle. Les oiseaux étaient particulièrement bruyants ce matin-là, d’ailleurs, ce sont eux qui l’avaient réveillée, avant même que la sonnerie de son cadran retentisse. Il lui restait encore une bonne heure, croyait-elle, à relaxer avant de devoir commencer la routine du matin, et de voir à ce que ses enfants soient prêts pour leur journée d’école.
Ça faisait exactement cinq ans que Rachel habitait dans cette maison mobile, dans un parc, sur le bord de la rivière à Yamaska. Elle y élevait seule ses deux garçons, Louka six ans, et Kylian douze ans. Bien que ce fût loin d’être son endroit rêvé pour passer sa vie, elle était heureuse comme jamais d’y vivre. Le fait que c’était pratiquement gratuit l’aidait beaucoup à accepter les petits inconvénients! C’est-à-dire qu’elle n’avait que les taxes municipales et scolaires à payer annuellement, à faible cout.
Rachel avait reçu cette maison en guise de dédommagement, en réglant à l’amiable, si on peut dire, le compte de son ex-conjoint violent. En échange, elle avait promis de ne pas porter plainte contre lui, ni au criminel ni au civil, pour les sévices corporels et moraux qu’il lui avait fait subir pendant leurs sept longues années ensemble, et taire toutes autres allégations qu’il n’avait pas été un conjoint exemplaire. Elle devait, par leur entente, dire à qui était curieux de savoir la raison de leur rupture qu’elle l’avait quitté tout simplement parce qu’elle avait cessé de l’aimer.
En plus de lui donner cette très modeste habitation, son ancien conjoint avait accepté volontiers de ne plus jamais avoir de contact de près ni de loin avec ses deux fils. Il faut dire qu’il n’en avait rien à cirer des mômes. Ça avait été son choix à elle de les mettre au monde, pas le sien! D’ailleurs, une couple de petites bières dans le corps aidant, il l’avait souvent et publiquement accusé de l’avoir truqué pour l’engrosser, deux fois plutôt qu’une. À l’entendre parler, c’était toute qu’une manipulatrice cette Rachel! Heureusement qu’après trois bières, plus personne ne l’écoutait.
— Maman! Les maudits moineaux m’ont réveillé! Je peux-tu aller dehors avec ma carabine à plomb, pis tirer dans les airs pour leur faire peur? demanda Kylian en rejoignant sa mère dans la cuisine.
— T’es malade! Retourne te coucher!
— J’veux pas les tuer! Je veux juste leur faire peur pour qu’ils s’en aillent ailleurs.
— Oublies ce projet-là mon petit chien! Tu n’iras nulle part avec ta carabine. Non, mais c’est toujours bien juste des oiseaux! Un peu de tolérance quand même! Il fallait s’y attendre, c’est le printemps. Retourne te coucher et essaie de dormir. Il te reste encore une heure avant que ton cadran sonne.
— Je ne serai jamais capable de me rendormir. Il fait trop chaud dans ma chambre, pis si j’ouvre la fenêtre je vais entendre les maudits moineaux encore plus fort, se lamenta Kylian.
— Franchement, tu fais exprès! Commence donc par enlever ton gros pyjama en flannelette avant de te plaindre qu’il fait trop chaud. En tout cas, si tu veux absolument rester debout, ne réveille pas Louka, dit Rachel.
~ ● ¤ ● ~
Rachel sortait à peine de la douche, après avoir envoyé ses deux garçons à l’école, qu’on cognait déjà à sa porte. C’était Morgane, la voisine d’en face. Rachel l’aimait bien, mais la trouvait fatigante des fois. Elle avait souvent le don d’arriver à l’improviste quand ce n’était pas le temps. Il faut dire aussi que Morgane n’était pas le crayon le plus aiguisé de la boite, et Rachel n’avait pas une grande patience pour ces gens-là.
Avec son drap de bain autour de son corps et une serviette entourant sa longue chevelure, Rachel alla lui répondre. C’était plus fort qu’elle, en voyant comment son amie était vêtue combiné avec la raison de sa visite, elle s’esclaffa. La jeune femme, très forte du popotin, portait un ensemble short et chandail, imprimé de fruits et de légumes qui accentuaient davantage ses rondeurs. Elle était là pour demander à Rachel si elle voulait aller arroser leur jardin communautaire avec elle.
En fait, l’idée initiale de faire ce jardin potager venait de Romain, le conjoint de Morgane. Il avait même pris l’initiative de demander la permission à leur voisin cultivateur s’ils pouvaient se servir d’un petit bout de sa terre qui longeait le terrain du parc à maisons mobiles, et qui ne lui servait pas. Comme de raison, ce n’était pas lui qui se tapait tout l’ouvrage. Monsieur avait ce que Rachel s’amusait à appeler, un mal de dos sélectif.
La seule raison que Rachel avait embarquée dans cette galère, c’était qu’elle avait un peu pitié de Morgane qui devait tout faire toute seule, parce que personnellement, elle n’en avait rien à foutre du jardin. Elle n’aimait pas particulièrement les légumes, et détestait la corvée de leur préparation à la congélation et d’empotage à l’automne. Ce matin-là ça lui tentait encore moins d’accompagner Morgane. Elle se sentait à cran plus que la normale. S’être fait réveiller à 5 h 30 devait surement être la cause.
— Veux-tu bien me dire où t’as péché ça ce linge-là?
— Qu’est-ce que t’as contre mon linge?
— Ah! Rien pantoute! C’est juste que, mettons que ça ne peut pas faire plus thématique ton affaire! Ha, ha, ha! Mais bon, comme tu peux voir, je sors tout juste de la douche, puis mes cheveux sont encore mouillés. C’est-tu bien important qu’on y aille à matin? On ne peut pas y aller plus tard, ou à soir à place? Je pourrais demander à Kylian de nous aider à charroyer la poubelle d’eau.
— Je ne peux pas à soir. J’ai quelque chose de prévu avec Romain. Puis ça serait mieux qu’on fasse ça à matin avant que le soleil soit trop fort. Il fait tellement beau. Va t’habiller, je vais t’attendre. Tes cheveux vont sécher vite tout seuls, tu vas voir. S’il te plait Rachel!
Morgane finit par l’avoir à l’usure. Elle alla rapidement enfiler une vieille paire de jeans et un t-shirt rouge, brossa ses cheveux vite fait pour enlever les nœuds, et rejoignit son amie dehors en arrière de sa maison.
La veille, Morgane avait déjà commencé à remplir d’eau la grande poubelle verte qu’elles devront tirer sur une planche à roulettes construite exprès pour la tâche, jusqu’au lopin de terre au bout de la ruelle. Lorsque le plein était fait, Rachel tira sur la corde attachée après la planche, tandis que Morgane l’aida en poussant de son bord.
— As-tu vu ça hier soir, dans le ciel? demanda Morgane, en route.
— J’ai pas sortie hier soir. C’était quoi? T’as vu un o.v.n.i? Ha, ha, ha.
— Ben non! Nounoune! Le ciel était de toute beauté. C’était un… comment t’appelles ça donc?
— Aucune idée de quoi tu parles! répliqua Rachel.
— Ben oui! Tu sais, c’est quand il y a plein de couleurs là. Une horreur boréale!
— Une horreur boréale asteure! dit Rachel en riant à pleine tête. Esti! J’pus capable de tirer! Tu vas me faire pisser dans mes culottes! Une horreur boréale ha, ha, ha!
— Pourquoi tu ris de moi comme ça? C’est toujours ben pas moi qui ai inventé le mot!
— Ça s’appelle une aurore boréale, pas une horreur! Puis je dois te dire que je ne sais pas pantoute ce que t’as vu, mais ça me surprendrait en maudit que ce soit ça! dit Rachel.
— Romain aussi l’a vu, tu sauras! Puis lui aussi a dit que c’était ça.
— Ah bien, si Romain l’a dit! Écoute, je l’avoue, je ne connais rien au jardinage. Je n’ai pas le pouce vert du tout! Puis si j’arrive à récolter une seule carotte, je vais être fière de moi. Mais en ce qui concerne le ciel, je m’y connais un peu. Si je trouve ça invraisemblable, c’est que les aurores boréales c’est habituellement en hiver qu’on voit ça, pas au mois de mai! Puis même là, dans la région on n’en voit pas souvent. C’est dans le nord qu’on en voit le plus. Puis à part de ça, hier c’était beaucoup trop nuageux pour en voir une.
Les deux femmes arrivèrent enfin à l’emplacement de leur jardin. Ce qu’elles virent les rendit complètement bouche bée. Les graines qu’elles avaient semées l’avant-veille avaient déjà commencé à sortir en petites pousses feuillues.
~ ● ¤ ● ~
— Willy! Tu n’es pas encore en train de zieuter la voisine? J’ai beau ne pas être jalouse, ça s’en vient franchement plate pour moi, ce que tu fais là! Je me doutais bien aussi notre différence d’âge finirait par devenir problématique dans notre couple, dit Martyne.
— Ne charrie pas quand même! Tu n’as que deux ans de plus que moi. Puis je ne faisais que regarder dehors, pas nécessairement la voisine. Elle s’est tout simplement adonnée à passer. En fait, question d’être transparent avec toi, quand je l’ai vu forcer après sa poubelle d’eau, j’ai pensé aller lui donner un coup de main, mais je me suis dit, justement, que tu serais jalouse, fait que, comme tu peux voir, je suis resté assis ici, bien sagement.
— En tout cas! Nous n’avons peut-être que deux ans de différence, elle est beaucoup plus jeune que toi, et encore plus que moi. De toute façon, ça me surprendrait qu’elle soit intéressée par un homme de quarante ans! rétorqua Martyne.
— Voyons donc! Rachel en a 35! Ce n’est que cinq ans de moins que moi. Veux-tu bien me dire quelle mouche t’a piquée ce matin! J’ai l’impression d’être encore endormi en train de faire un mauvais rêve.
— Je ne te parlais pas de Rachel! Je te parlais de Morgane! Elle n’a que vingt-huit ans, elle. Mais comment ça tu connais l’âge de Rachel au juste?
— Hey misery! On habite dans un parc de maisons mobiles je te ferai remarquer. Les résidents se croisent souvent, se jasent entre eux, se disent leur âge. On vit à proximité l’un de l’autre. Sérieusement mon amour, je t’aime, mais j’en ai ma claque ce matin. Je vais partir pour le travail tout de suite, avant que ça dégénère ici.
— Bien moi j’en ai ma claque de me faire prendre pour une valise! Non, mais… quand c’est rendu que ton mari connait l’âge de la voisine d’à côté pis qu’il oublie la tienne ta fête, faut pas trop se poser de questions!
— J’ai oublié ta fête une seule fois depuis qu’on est ensemble, puis tu vas vraiment me le renoter jusqu’à ma mort? Toi-même tu l’avais oublié cette année-là tellement on avait des préoccupations dans notre vie. Bye, je m’en vais. On en reparlera tantôt! Ah pis finalement, attend-moi pas pour diner, dit Willy en claquant la porte d’aluminium derrière lui.
Rare fut les fois que Willy ne prit pas son auto pour aller à son ouvrage, mais ce matin-là, il décida d’y aller à pied. Il avait espoir que la marche l’aide à décompresser de son après-réveil brutal. Ça ne lui a pris que dix minutes se rendre au marché où il travaillait comme livreur d’épicerie. Décidément, ça lui aurait pris une marche beaucoup plus longue pour se déchoquer puisque tout de suite en entrant dans le magasin, une cliente âgée lui est rentrée dedans avec son panier, et malgré le fait qu’elle s’est empressée de s’excuser, Willy lui fit un doigt d’honneur bien ressenti.
Heureusement pour lui, la vieille femme n’a pas eu le temps de se rendre au bureau du gérant, au fond du commerce, pour porter plainte. Dans le milieu de l’allée centrale, la dame est tombée raide morte en s’agrippant après une bouteille de ketchup tel un noyé après une bouée de sauvetage.
~ ● ¤ ● ~
Marchant dans la ruelle, pour s’en retourner chez elle après avoir arrosé son jardin, Rachel arriva face à face avec le chien de garde du voisin. Sorti de son parc, il s’est empressé d’aller à sa rencontre. Prise de panique, sa première réaction fut de crier au secours, mais curieusement, contrairement à son comportement habituel, la bête était on ne peut plus docile. Lorsqu’elle s’est ressaisie, Rachel regarda le chien plus attentivement et aurait juré qu’il lui souriait.
Plus à l’aise après son monologue de quelques minutes avec lui, elle prit le berger allemand par le collet et le tira doucement en direction de la maison de son maitre, soit la dernière au fond de la ruelle à gauche.
— Rachel! Qu’est-ce que tu fais avec le chien de Marcel? Fais gaffe! Il peut te mordre, s’exclama Morgane, en s’en retournant chez elle à son tour.
— Pas de danger. Il est tout doux avec moi. Je le ramène chez lui. Il est sorti de son parc, par je ne sais quel moyen. Merci d’être venue aussi vite pour m’aider, en passant. Tu n’as pas l’air trop essoufflée!
— Je le savais-tu moi que tu avais besoin d’aide? Voyons! On dirait que tu cherches la chicane aujourd’hui.
— J’ai crié à l’aide comme une hystérique, puis personne n’est venu. Bizarrement, regarde autour, les fenêtres sont ouvertes chez tout le monde, dit Rachel.
— T’as pas dû crier trop, trop fort! Je t’ai pas entendue!
— Me semble, oui! En tout cas, je vais aller voir si Marcel est chez eux et lui ramener son chien. Vient-en Bruce!
Arrivée devant le parc à chien, Rachel constata que le cadenas était toujours après la porte fermée, tel qu’il se doit. Après une petite inspection, elle conclut que Bruce n’avait pas pu sortir de là de lui-même. Elle était sure que Marcel la verrait sur son terrain et qu’il viendrait la rejoindre, mais ce ne fut pas le cas, donc trainant encore le chien avec elle, elle alla cogner à sa porte. Personne ne répondit, même après plusieurs tentatives.
Rachel tenta d’ouvrir les portes d’entrée, mais elles étaient barrées toutes les deux. Elle fit le tour de la maison pour regarder par les fenêtres qui lui étaient accessibles, pour enfin le voir assis à sa table de cuisine. Elle frappa fort dans la vitre avec une clé de son trousseau sans que l’homme bronche. Soudain, il se leva, sans la regarder, et disparut de son champ de vision.
— Je fais quoi avec toi maintenant? demanda-t-elle au chien en baissant les yeux.
Bruce s’est mis alors à tirer dans la direction opposée de la maison. En relevant le regard vers la fenêtre, elle vit que les rideaux étaient maintenant fermés. En fait, tous les rideaux chez Marcel étaient soudainement fermés.
Chapitre 3
Plutôt que de se rendre chez son dernier client de la journée, Alain Richard décida de souper tôt et d’y aller tout de suite après. Habituellement, travailler jusqu’à tard le soir sans manger ne lui causait pas de stress, mais ce jour-là, il avait grandement besoin d’une pause. Sa dernière nuit d’insomnie y était surement pour quelque chose, car toute la journée il s’est senti à cran. Normalement de tempérament calme et patient, aujourd’hui il avait peine à se reconnaitre lui-même. Il est passé à un cheveu de traiter un client de sans-dessein, du simple fait qu’il ait bouché sa toilette en échappant un tube de crème à main dans le bol alors qu’il tirait la chaine. Il faut dire que c’était la dixième toilette qu’il débouchait depuis le matin. Un moment donné, il en avait ras le pompon de la négligence des gens, pour ne pas dire ras le bol!
Ce soir, il avait un chauffe-eau à changer de toute urgence! C’est ce que la dame de la garderie en milieu familial avait laissé, en grosse panique, comme message sur son répondeur. Ah! Les gens, et leurs supposées urgences! Comme s’il n’y avait pas d’autres façons de réchauffer de l’eau en attendant que le plombier puisse s’y rendre. Le manque de débrouillardise du monde le fit bien rire habituellement, mais aujourd’hui il avait juste le gout de leur sacrer une petite claque en arrière de la tête pour leur remettre le cerveau à la bonne place. « Je suis désolé Monsieur, mais je ne peux pas déboucher vos chiottes avant demain, j’ai un chauffe-eau à changer dans une garderie. Vous n’avez pas de sceau? Alors, vous n’aurez pas le choix que de chier à terre! », s’imaginait-il en train de dire à ses autres clients, pour accommoder une connasse qui ne savait pas comment chauffer de l’eau sur sa cuisinière pour dépanner. Elle ne pouvait pas changer la couche des bébés si elle n’avait pas d’eau chaude, qu’elle disait.
Son repas enfin prêt, Alain s’assit à table pour manger tranquillement le bon pâté chinois qu’il s’était cuisiné la veille, quand tout à coup il entendit le bruit d’une tondeuse. Même s’il voulut rester calme, Alain ne la trouvait pas drôle, mais pas du tout! Il lâcha un grand soupir, se leva et alla à la fenêtre pour voir qui était l’imbécile qui tondait sa pelouse à l’heure du souper.
C’était Jean-François Généreux le coupable. Sa maison mobile se trouvait entre celle de Morgane et d’Alain. Pourtant, il était loin de détenir la réputation d’être un zélé de la verdure, comme certains autres voisins. Il était plutôt du genre à laisser pousser le gazon au point de risquer l’intervention de la ville. D’ailleurs, c’est ce qui fit qu’Alain n’est pas sorti pour l’engueuler. Il prit son mal en patience! Du moins, jusqu’à ce que Jean-François sorte son fouet à gazon. Depuis les nombreuses années qu’il connaissait Jean-François, il ne l’avait jamais vu couper les pousses d’herbes autour de la maison plus d’une ou deux fois par année. Encore là, Alain se voyait mal lui chialer après.
Il se releva pour aller chercher le pot de betteraves marinées du réfrigérateur. Alain était formel là-dessus, on ne peut pas manger du pâté chinois sans betteraves marinées. Avant de se rassoir à table, il jeta un autre coup d’œil chez son voisin, espérant qu’il soit sur le point de finir, mais non! Ce dernier prenait bien son temps, même qu’Alain commençait à penser qu’il faisait exprès pour l’importuner. Il devait bien s’en douter qu’il soupait. Soudain, la colère monta en lui au point de le faire rougir. Il prit machinalement la première chose qui lui tomba sous la main, en occurrence le pot de betteraves, et le lança de toutes ses forces au bout de la pièce, où il se fracassa contre les armoires de cuisine.
Alain sortit de la maison et se rendit chez Jean-François, en martelant le sol à chaque pas. Il arracha de la prise, le fil d’extension jaune relié au coupe-herbe électrique et s’approcha de son voisin. Il lui donna une poussée sur l’épaule qui lui fit reculer de trois pas.
— Heille le cave! Je suppose que t’es pas au courant que c’est l’heure du souper? Tu pouvais pas attendre à demain dans la journée pour faire ça? Ça aurait été le fun de pouvoir manger en paix après une dure journée de travail. C’est ce qu’on appelle faire preuve de civisme! gueula Alain.
— WO dude! C’est quoi ton problème? Il est juste 4 h 30! C’est toi qui manges bien que trop de bonne heure!
— Là je m’en retourne travailler. Pendant mon absence tu vas aller chez nous puis tu vas nettoyer le dégât que j’ai fait dans la cuisine.
— Euh, non! Pourquoi j’irais ramasser ça? demanda Jean-François.
— Parce que c’est de ta faute! C’est toi qui m’as fait pogner les nerfs!
— Non, mais tu me niaises! Checke sur ton camion. C’est écrit Alain Richard, Plombier magique. T’as qu’à faire de la magie puis ça va se nettoyer tout seul! Ha, ha, ha!
— Là je m’en vais changer un chauffe-eau. Quand je vais revenir, le dégât est bien mieux d’être nettoyé! dit Alain en s’en retournant chez lui pour embarquer dans sa camionnette.
— Fie-toi sur moi qu’il le sera pas! cria Jean-François. Non, mais tu te prends pour qui toi là?
~ ● ¤ ● ~
Docteure Sylvie Durocher habitait dans la grande maison à côté du parc de maisons mobiles. Avançant sur le rang Bord de l’eau, conduisant une magnifique Corvette 1981 rouge, elle croisa Alain dans sa camionnette de plombier magique. En bonne voisine, elle lui envoya la main pour le saluer. Ce dernier lui fit un doigt d’honneur, tout à fait gratuitement, lui effaçant le sourire qu’elle s’était forcée à afficher toute la journée. Elle se demandait bien quelle mouche avait piqué les gens! Depuis le matin, elle avait reçu des critiques ou des airs bêtes de la part de ses clients à la clinique vétérinaire, et ce, absolument pour rien! Même que plusieurs des animaux qu’elle avait soignés dans le courant de la journée avaient démontré des comportements inhabituels.
Rendue à la hauteur du parc de maisons mobiles, elle vit un berger allemand attaché après l’attelage de distribution de poids sur le devant de la roulotte à Rachel. Sachant que celle-ci n’était pas propriétaire d’un chien, et trouvant que l’animal ressemblait beaucoup à Bruce, un de ses patients canins, elle décida de s’arrêter un moment.
En sortant de son auto, Sylvie resta sur ses gardes, sure maintenant de reconnaitre le chien. À sa grande surprise, plutôt que de lui montrer ses crocs, comme à son habitude, il branlait la queue pour lui démontrer qu’il était heureux de la voir. Elle ne s’approcha tout de même pas de la bête, mais alla plutôt cogner chez Rachel. Bruce se recoucha sur les dalles de béton, en soupirant, visiblement déçu de ne pas avoir eu l’affection qu’il convoitait.
Sylvie cogna et Rachel ouvrit la porte, mais pas sans hésitation. Elle était en train de souper avec ses fils et le repas du soir était le seul moment de la journée consacré aux vraies bonnes conversations avec eux. Elle n’appréciait guère qu’on les dérange pendant ce temps précieux.
— Bonsoir Rachel. Désolée de te déranger, mais Bruce est un de mes patients. Je reviens tout juste du travail et je suis inquiète de le voir attaché devant chez toi plutôt qu’enfermé dans son parc. Est-ce que Marcel va bien?
Rachel lui raconta que ce matin-là le chien n’était pas attaché, qu’il était dehors sans supervision, et que son maitre avait refusé de lui répondre quand elle est allée cogner chez lui.
— Bruce ne voulait pas y aller. Je le tenais par son collier et il tirait pour s’éloigner de là. J’avais l’intention de retourner chez Marcel avec Bruce après souper, mais si tu veux y aller, libre à toi. Ça me surprendrait qu’il te morde. Il est rendu très docile. Moi je ne m’y connais pas trop en soins canins, mais j’imagine qu’il doit avoir faim aussi. Je n’ai rien à lui donner, dit Rachel.
— OK! Mais lui as-tu donné de l’eau, et si oui, en a-t-il bu? demanda Sylvie.
— Je lui ai mis un bol d’eau. J’ai pas remarqué s’il en avait bu ou pas.
— Bon, alors je vais aller voir Marcel, et s’il ne me répond pas, je vais appeler la Sureté du Québec. Un des deux a peut-être un problème de santé. Bruce restera chez moi pour la nuit. Je veux surveiller son comportement, dit Sylvie, craignant la rage.
— Parfait! Les deux seront entre bonnes mains, j’en suis sure. Tu m’en redonnes des nouvelles? demanda Rachel.
— Oui, oui! Si tu veux! Coudons, je peux te demander pourquoi tu regardes mes cheveux comme ça avec dédain depuis tantôt? J’ai-tu une bibitte dedans?
— Bien non! Je ne les regarde pas avec dédain du tout! En fait, je ne les regardais pas vraiment, du moins, je ne m’en suis pas rendu compte, dit Rachel.
— En tout cas, si ce n’était pas intentionnel, tant mieux, parce que ça s’en venait insultant! Je commençais à me demander s’ils étaient si laids que ça.
— Qu’est-ce que tu dis là, toi? Ils sont très beaux tes cheveux! Tu t’imagines des affaires.
Les deux femmes se souhaitèrent bonne soirée. Sylvie laissa son auto dans l’entrée de cour de Rachel et se rendit à pied jusqu’à la maison de Marcel. Ceci lui donna le temps de remarquer à quel point le gazon et les feuilles dans les arbres étaient d’un vert éclatant. En fait, toutes les couleurs semblaient plus vives, comme si quelqu’un les avait trafiquées dans un logiciel de traitement d’images, pensa-t-elle. Elle avait soudain l’impression de se promener dans un cahier à colorier, ou dans un conte pour enfants. Toute la journée lui semblait invraisemblable, tellement qu’au point où elle en était, elle ne sera pas surprise de croiser un lapin blanc qui parle.
En s’approchant de la maison de Marcel, Sylvie remarqua que tous les rideaux étaient encore fermés. Ensuite, elle vit un carton collé dans la fenêtre de sa porte d’entrée. Elle accéléra le pas, curieuse de lire ce qui était marqué.
Marcel avait découpé une boite de céréales et avait écrit en crayon-feutre rouge :
Allez-vous-en! Je vais TRÈS bien! Respectez mon mutisme. Bruce fait ce qu’il veut.
Marcel
Sylvie resta plantée là, devant la porte quelques secondes, ne sachant plus trop quoi faire. Finalement, elle décida d’appuyer sur la sonnette, malgré les volontés de son client. Le pire qu’il pourrait arriver, se dit-elle, c’est qu’il l’ignore, comme il l’a fait à Rachel ce matin. Jamais elle ne se serait doutée que cet homme, habituellement si gentil, pourrait la regarder droit dans les yeux à travers la fenêtre de sa porte, et lui pointer un pistolet en direction de la tête. Tremblante de peur, elle courut jusqu’à son auto. Elle ouvrit la porte, et juste au moment où elle allait s’assoir dedans pour s’en aller chez elle le plus rapidement possible, Bruce s’est mis à chigner.
— Ah merde! Je t’ai presque oublié là, dit-elle en sortant de son véhicule.
Elle détacha le chien, et plutôt que de le laisser embarquer dans son auto, elle l’amena à pied chez elle, où elle l’attacha après son poteau de corde à linge dans sa cour. Elle retourna chercher la Corvette par la suite.
Étant vétérinaire, elle recevait souvent des échantillons de nourriture pour animaux. Elle alla dans son garage, ouvrit le couvercle d’un gros bac bleu en plastique et sortit un sac de croquettes pour chien à saveur de foie et agneau. Ensuite, elle fouilla dans des boites rangées sur une étagère et trouva une vieille batterie de cuisine. Elle sortit deux petites casseroles. Ensuite, elle mit de la nourriture dans une des deux casseroles, et de l’eau dans l’autre, qu’elle posa par terre à côté d’une pile de vieilles couvertures qui trainaient dans un coin. Elle jeta un coup d’œil alentour pour s’assurer qu’il n’y avait rien qui pourrait blesser le chien, et alla le chercher pour qu’il puisse y passer la nuit.
Bruce suivit Sylvie volontiers. Affamé, aussitôt qu’il entra dans sa nouvelle demeure, il se jeta sur son bol de bouffe et engloutis son contenu en entier. Ensuite, il s’abreuva goulument, en branlant la queue.
Lorsqu’il eut fini, Sylvie alla dans la maison chercher ses instruments médicaux et retourna auprès du chien pour l’examiner. Maintenant que son inquiétude initiale qu’il soit atteint de la rage fut écartée, elle décida d’aller faire une petite marche avec lui, question d’activer son système digestif avant de l’enfermer dans le garage pour la nuit.
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En arrivant dans la ruelle après sa journée de travail, Alain a dû arrêter sa camionnette pour ne pas écraser Ti-Brun, le chat de Jean-François, qui traversait tranquillement le chemin. Alain sortit sa tête du véhicule et cria à tue-tête :
— Envoie Ti-Brun! Rallonge tes pas si tu veux pas raccourcir ta vie! Ha, ha, ha! Généreux! J’espère que t’as ramassé le dégât! Un accident, c’est si vite arrivé!
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Revenue de sa promenade, Sylvie amena le chien dans le garage, mais il se mit à chigner aussitôt qu’elle ouvrit la porte pour entrer dans la maison. Visiblement, il ne voulait pas rester seul.
— Ah! Ne me regarde pas comme ça avec de l’amour dans les yeux! Tu dors ici, dans le garage, et moi dans la maison. Un point c’est tout! Mais… attends un peu… tu trembles! Tu as peur?
Bruce s’avança vers la porte et s’assit devant en guise de réponse.
— Bon! D’accord, tu peux entrer, mais pas question que tu couches dans mon lit! Ne t’essaie même pas, parce que tu vas retourner dans le garage.
Bruce se rendit directement dans la chambre de Sylvie, et se coucha par terre, à côté du lit. Sylvie, elle, alla dans la salle de bain pour se doucher, mais avant, elle ouvrit le tiroir du haut de la vanité et sortit une paire de ciseaux et un peigne. En se regardant dans le miroir elle se dit que dorénavant, personne n’aura dédain de sa tignasse! Elle empoigna fermement les ciseaux et coupa sa belle longue chevelure blonde à environ trois centimètres du crâne.
Chapitre 4
Yamaska, jour 2
Cher Journal,
Je n’aurais jamais pensé faire ça un jour! Écrire dans un journal intime, je veux dire. C’est pour les femmes en mal d’amour ces choses-là. En passant, moi c’est Marcel, le père de… Ouin, à bien y penser, je suis peut-être mieux de pas écrire son nom. Ils m’ont averti de ne pas en parler. Ça veut dire que j’ai deux choix, sois que je vis mon deuil tout seul comme un rejet de la société, sois que je le vis avec toi. On vieillit tous avec l’idée magique que nous allons passer de l’autre bord bien avant nos enfants. Je suis ici pour te dire que c’est faux! J’en avais rien qu’un, le pire! J’peux même pas lui offrir des funérailles. Ils m’ont ôté la seule chose que j’avais de précieux au monde. Mon petit gars… il savait pas lui qu’il fallait pas le dire, même à son père, c’t’un enfant! Bon, c’est vrai que c’était pus ben, ben un enfant, mais à 18 ans on a encore le nombril bien vert! C’est pas comme s’il était allé raconter ce qu’il a vu à tout le monde au village. La seule personne à qui il l’a dit c’est moi. Fait que là si j’veux pas me retrouver à la même place que lui, il faut que je me taise aussi! Mais, je t’avoue que depuis sa mort, il se passe quand même des secousses où j’ai le gout de le raconter ce qu’il m’a dit et d’aller le rejoindre. Puis là, ben, c’est la frousse qui me pogne quand je m’imagine que ça risque d’être pas mal pire après.
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Isabelle Lacombe avait un atroce mal de tête qui ne la lâchait pas depuis son réveil, la veille. Elle avait pris des acétaminophènes, des ibuprofènes, et il y a trente-cinq minutes des Naproxens, mais rien ne la soulageait.
— Tu devrais peut-être aller consulter, lui dit sa coloc et meilleure amie Suzanne Gingras.
— Bien non! J’irai pas contribuer à engorger la salle d’urgence juste pour un mal de tête. Ça va finir par passer, dit Isabelle en se massant le front d’une main et la nuque de l’autre.
— Bon, bien puisque tu as encore mal, je vais aller avertir la gang que le party de karaoké de ce soir est annulé.
— Ah merde! C’est à soir ça! C’est donc bien poche. Écoute, n’annule rien à cause de moi. Je vais aller coucher dans un motel pour la nuit, dit Isabelle.
Au début, Suzanne ne voulait pas accepter, se disant que son amie n’avait pas à se sacrifier comme ça, qu’elles pouvaient tout simplement remettre la fête à un autre jour, mais Isabelle insista. Ça faisait plusieurs semaines que cette soirée était planifiée et elle ne voulait pas décevoir tout le monde.
— C’est décidé! Je vais aller me préparer un sac de nuit et y aller tout de suite. Comme ça tu seras plus à l’aise pour faire les derniers préparatifs sans avoir peur que le bruit me dérange. Je vais passer la journée au lit, ça va me remettre sur le piton. J’ai surement juste une accumulation de fatigue. Promets-moi par exemple de prendre plein de photos et de filmer les meilleures performances!
— Oui, oui! Je te promets de prendre plein de vidéos. Dis-moi donc, Jean-François t’a-tu dit s’il comptait venir finalement? demanda Suzanne, en cachant très mal sa timidité.
— Ha, ha! Il te plait! Petite cachetière va! s’exclama Isabelle.
— Je suis juste curieuse de savoir qui compte venir, c’est tout.
— Si t’étais juste curieuse, pourquoi tes joues sont devenues rouges, la taquina Isabelle. Bien oui, aux dernières nouvelles il avait l’intention de venir, mais ça fait une couple de jours que je ne l’ai pas croisé.
— Je l’ai vu par la fenêtre hier soir. Il était en train de se pogner avec Alain. Je ne peux pas vraiment le désinviter celui-là fait que j’espère qu’il ne viendra pas faire la chicane ici. Je me demande bien quelle mouche les a piqués!
— Tu peux toujours passer le mot à tout le monde, que tu ne veux pas de chicane ici ce soir, sans pointer personne. En tout cas, moi je vais aller préparer mon sac de nuit, et je vais aller au motel tout de suite après, dit Isabelle.
La migraineuse alla dans sa chambre à l’autre extrémité de la maison. Un miroir pleine grandeur était collé à l’intérieur de sa porte. En la refermant derrière elle, l’instant d’une seconde, elle crut voir son reflet se dédoubler, comme si on avait fait glisser son image pour découvrir une autre image d’elle, plus âgée, en dessous. Elle cligna des yeux quelques fois pour chasser cette vision troublante, mettant ça sur le dos du mal de tête.
Elle ouvrit sa porte de garde-robes et se leva sur la pointe des pieds pour agripper son sac de nuit rangé sur une tablette dans le haut du placard. La dernière chose qu’elle se souvint plus tard, c’est l’intensification soudaine de sa douleur qui lui martela le crâne, et de conclure qu’elle serait mieux de se rendre directement à l’urgence, en ambulance. Elle sortit son téléphone cellulaire de sa poche de pantalon, mais finalement elle n’a pas eu besoin d’appeler les secours, puisque soudain, l’atroce douleur disparut aussi vite qu’elle était apparue. Elle se regarda dans le miroir une dernière fois, et sortit de sa chambre à coucher, sac de nuit en main. En sortant ensuite de la maison, elle ignora complètement Suzanne, ses bons souhaits, et ses salutations.
Suzanne trouva le comportement de sa colocataire étrange, surtout du fait que depuis leur tendre enfance, alors qu’elles étaient devenues meilleures amies, elles avaient pris l’habitude de se donner un câlin avant de se quitter pour plus de quelques heures. Cependant, elle ne s’attarda pas trop là-dessus pour le moment. Elle venait de voir son voisin Jean-François sortir de sa maison pour aller en direction des boites aux lettres communautaires au bout de la ruelle. À la presse, elle fouilla dans son sac à main qui était accroché après le portemanteau à l’entrée, et sortit une grosse brosse à cheveux ronde, qu’elle passa trois, quatre fois dans sa longue chevelure châtaine ondulée. Ensuite, elle sortit de chez elle, comme si de rien n’était, et alla rejoindre son voisin en faisant semblant d’aller voir si elle avait reçu du courrier.
— T’étais au courant que le facteur passe juste une fois par jour? demanda Jean-François.
— Salut JF! Bien sûr que je le sais! Pourquoi me poser cette question?
— C’est parce que c’est la deuxième fois ce matin que tu viens chercher ta malle, puis tu es repartie avec une enveloppe plus tôt, répondit Jean-François.
— Ah OK! Ha, ha, ha! C’est parce que plus tôt je n’étais pas sure si le facteur était passé. L’enveloppe qui était dans ma boite était là depuis hier, mentit-elle.
— Ah! Moi qui espérais que tu t’étais trouvé une excuse pour me parler. J’aurais bien dû me douter que j’ai pas assez d’allure pour attirer l’attention d’une charmante et jolie demoiselle comme toi, dit Jean-François, en balayant le sol nerveusement avec son pied.
— Ben voyons donc! Rabaisse-toi pas comme ça! En passant, penses-tu toujours venir à mon party karaoké à soir?
— Euh, je ne sais plus trop là. Alain va-tu être là? Parce que le moins que je lui vois la face à celui-là, le mieux que je me porte.
— Je ne pense pas qu’il vienne. Du moins, il ne m’a rien confirmé encore. Mais j’ai bien l’intention de lui dire, à lui comme à tout le monde, que je ne tolèrerai aucune chicane chez nous de la part de personne!
— OK! Bien, je vais peut-être aller faire un petit tour finalement. Au pire, s’il est là, je m’en retournerai chez nous. Attends-toi pas à ce que je chante par exemple! J’aime mieux laisser ma place à ceux qui ont des belles voix, comme Peggy, justement! dit Jean-François.
— Peggy? Tu parles de la chanteuse Peggy Lee?
— Ben non! Ha, ha, ha! Je parle de Peggy Trépanier, notre voisine, dit-il en la pointa du doigt alors que celle-ci s’avançait dans leur direction.
— Ah? Je ne savais même pas son prénom. C’est toujours à Joey, son mari, à qui j’ai parlé dans le passé.
Peggy était une femme de 38 ans, légèrement dodue, aux cheveux très courts, teints fuchsia. Elle habitait avec son mari, et son fils unique de 17 ans, dans la dernière maison mobile, au bout de la ruelle, à côté d’Alain. Ceux qui ne la connaissaient pas bien pouvaient croire que sa difficulté à socialiser, et son incapacité lors de certaines situations étaient dues à de la timidité, d’autres la traitaient de sauvage, ou d’excentrique, certains allaient même jusqu’à la traiter de crisse de folle! En réalité, elle était atteinte d’autisme de haut niveau. Ce n’est qu’à l’âge de 36 ans qu’elle reçut enfin son diagnostic, après avoir passé toutes ces années à secrètement se croire sociopathe. Bien qu’elle fût quand même très fonctionnelle, quand on se donnait la peine d’apprendre à la connaitre, on découvrait davantage les nombreuses complexités qui la rendaient si différente des autres.
Normalement, Peggy aurait attendu que ces voisins soient retournés chez eux avant de sortir pour aller mettre son sac de déchets dans le gros conteneur de vidanges à côté des boites postales, à l’entrée de la ruelle, mais depuis l’évènement d’il y a deux nuits, auquel son mari et elle avaient assistés, elle avait la tête ailleurs. Joey avait changé depuis. Il était devenu plus… en fait, il était devenu moins… elle n’arrivait pas à décrire exactement ce qu’il avait de différent. Ce n’était plus son même Joey. Elle avait plus l’impression de parler à son frère jumeau, sauf que c’était impossible, puisqu’il était enfant unique. Peggy composait très mal avec les changements! Bien que ce ne soit toujours pas son cas, elle avait très peur de changer elle aussi.
— Bon matin Peggy, dit Suzanne. Ça tombe bien qu’on se croise. Je voulais savoir, penses-tu que toi et Joey allez venir à mon party de karaoké ce soir?
— Ah ouin? C’est à soir ça? Je sais pas trop. Faut-tu que je te le dise tout de suite? Parce que pour être franche avec toi, pour le moment, je ne pense pas avoir trop le gout de chanter, et Joey encore moins.
— Il se passe rien de grave, j’espère? Es-tu malade? T’as l’air fatiguée, remarqua Jean-François.
— Non, je suis pas malade, mais fatiguée oui. Ça fait deux nuits que je n’arrive pas à dormir à cause de ce qui s’est passé là-bas, dit-elle en pointant vers le ciel en direction de sa maison.
— Quoi ça au juste? demanda Suzanne, perplexe.
— Vous avez pas vu ça vous autre? Vous dormiez surement, conclut Peggy.
— Qu’est-ce qu’on est censé avoir vu? demanda Jean-François.
Juste au moment où Peggy allait en dire trop, elle aperçut son mari qui avançait dans la ruelle. Lorsqu’il vit qu’elle regardait dans sa direction, il s’arrêta et cria :
— T’en viens-tu? Je commence à avoir faim moi-là!
— Désolée, faut que j’aille faire à diner, dit Peggy en s’empressant de rejoindre son mari.
— Si tu changes d’idée pour le party, t’as qu’à venir! Joey aussi, lui cria Suzanne.
Jean-François et Suzanne restèrent plantés là le temps qu’un petit malaise s’installe, causé par leur timidité de ne plus trop savoir quoi se dire.
— Bon bien, moi je vais y aller! s’exclamèrent les deux voisins en unisson, ce qui les fit rire nerveusement.
~ ● ¤ ● ~
Peggy n’eut pas eu le temps de se déchausser que Joey l’empoigna par un bras et la fit tourner, pour qu’elle le regarde.
— Qu’est-ce que tu leur as dit?
— J’ai rien dit! Lâche-moi! ordonna Peggy.
— Tu as l’audace de me mentir en pleine face en plus!
— Ne fais pas ça Joey. Je t’en prie, il faut absolument qu’on se fasse confiance l’un l’autre, sinon ça va nous détruire. Je n’ai rien dit, et je ne dirai rien.
Joey la regarda dans le creux des yeux un moment, comme si ceux-ci lui disaient le contraire.
— Jure-le-moi sur la tête de ton fils! cria Joey en lui serrant les deux bras à présent, encore plus fort.
Peggy le regarda maintenant avec des fusils dans les yeux et lui dit :
— Jamais je ne jurerai quoi que ce soit sur la tête d’Édy, puis tu le sais très bien! Là je t’avertis, je suis sur le bord de te péter une méchante coche! Lâche-moi!
La dernière chose que Joey avait de besoin à cet instant, c’est que sa femme se mettre à crier, puis a tout garrocher dans la maison, comme il lui arrivait de faire les rares fois qu’elle était en crise. Il lui relâcha les bras et sans rien dire de plus, alla dans la salle de bain pour s’asperger le visage d’eau froide. Il reconnut à peine sa propre réflexion dans le miroir. Il avait plus l’impression de regarder le visage de son père, tellement il y avait de nouvelles rides qui étaient apparues depuis l’évènement. En peignant ces longs cheveux châtains par en arrière pour en faire une queue de cheval, il remarqua qu’il avait une veine très gonflée en plein milieu du front. Bien qu’il avait eu les cheveux longs toute sa vie, il eut soudain une envie folle de se les raser. Au moment où il ouvrit le tiroir de la vanité pour sortir le rasoir à cheveux appartenant à Edy, Peggy cogna à la porte.
— Viens-tu diner? Ça va être froid et je te rappelle que le four à microondes ne fonctionne plus!
— Ben là! Ça doit pas être sur le bord d’être froid certain! On vient d’arriver v’la cinq minutes. On mange quoi?
— Tu manges du Hamburger Helper. Moi j’ai déjà mangé.
Joey la regarda perplexe. Devinant par son air qu’il devait se demander comment elle aurait pu faire le diner aussi rapidement, encore moins le manger, elle lui répondit :
— Ça fait trente-cinq minutes que tu es dans la salle de bain Joey.
Le couple alla dans la cuisine. Joey prit une bouchée des pâtes Stroganoff sans s’assoir.
— C’est tiède, dit-il, en repoussa l’assiette. J’ai pas très faim de toute façon.
— T’étais pourtant pressé de me faire revenir à la maison pour te le préparer ton maudit diner! Là, assieds-toi, s’il te plait! On va jaser calmement toi pis moi, dit Peggy en se tirant une chaise. On a des choses à régler!
Le couple discuta pendant un peu plus d’une heure. Ils établirent des nouvelles règles, sur comment se comporter entre eux. Ils décidèrent aussi ce qu’ils allaient tenter de faire maintenant que l’évènement s’était produit. Mais lorsque vint le temps d’aller au party de Suzanne, ils avaient tout oublié de cette conversation.