Ce qui suit est uniquement une partie du 9e chapitre de Parados 2, extrait tiré d’un des deux romans que j’écris présentement. Il s’agit d’un moment terriblement déchirant pour Shelby, un des personnages principaux. Vous pouvez le lire sans craindre de gâcher le suspence.
Les images de cette journée-là, à l’aube de ses six ans, se déroulèrent dans sa tête comme un vieux film en Super 8. Shelby était clouée dans son lit, plâtrée de la taille jusqu’aux orteils de la jambe droite, et jusqu’au genou de la jambe gauche. Un bâton posé en biais à même le plâtre maintenait ses deux jambes écartées. Un trou alentour de ses parties avait été moulé pour qu’elle puisse faire ses besoins sans souiller son plâtre. Le docteur Duhaime, son orthopédiste, avait espoir que cette immobilisation d’une durée de trois mois réussirait à maintenir sa tête fémorale droite, nécrosée par la maladie, en place dans son cotyle pour enfin reformer celle-ci.
Puisque ses parents travaillaient tous les deux à leur commerce, une station de service dans le même quartier que la demeure familiale, ils laissèrent Shelby seule à la maison toute la journée, six jours sur sept, sauf en soirée et quand sa mère venait quotidiennement lui porter son diner dans son lit. Elle en profitait en même temps pour glisser une bassine sous les fesses de sa fille pour que cette dernière puisse faire ses besoins. Parfois la fillette n’avait pas réussi à se retenir et sa mère devait alors changer la couche en coton souillé d’urine qui recouvrait le trou dans son plâtre, et ses draps, tout en la grondant sévèrement.
Un certain après-midi, Shelby entendit un bruit de pas dans la maison alors que personne n’était censé y être. Terrifiée à l’idée que ça puisse être un voleur, ou pire, un tueur d’enfant, elle usa de toutes ses forces pour se hisser en bas sur le plancher, et alla se réfugier sous son lit en tremblant comme une feuille et en étouffant ses sanglots. Son coeur battait tellement vite qu’elle crut qu’il allait exploser dans sa poitrine lorsqu’elle entendit l’intrus s’approcher de sa chambre, et de son lit!
Quel soulagement ce fut pour Shelby de réaliser enfin qu’il ne s’agissait pas du tout d’un méchant lorsqu’elle put voir et reconnaitre les souliers de son papa à peine cinquante centimètres de son visage.
— Veux-tu bien me dire ce que tu fais là? demanda-t-il lorsqu’il entendit sa fille pleurer sous le lit.
— J’ai eu peur. Je savais pas c’était qui, répondit Shelby alors que son père la tira de sa cachette pour la réinstaller dans son lit.
— T’as mouillé ta couche! Je vais te laver et te changer avant que ta mère voie ça! Sinon elle va te chicaner très fort, surtout si elle apprend que tu as descendu de ton lit. T’aurais pu briser ton plâtre. Mais moi j’te chicanerai pas.
— J’aime mieux attendre maman quand même, dit Shelby, pas du tout à l’aise avec l’idée que son père la lave.
— Non, non là! J’peux pas te laisser dans ton pipi toute l’après-midi quand même! Tu vas avoir la noune tout échauffée, insista-t-il en allant chercher une débarbouillette mouillée et une couche propre.
À son retour, c’est là qu’elle réalisa que finalement, les méchants ne sont pas tous des étrangers. Des fois les méchants sont déguisés en papa aimant, pour mieux profiter de la vulnérabilité de leur enfant pour assouvir leur bas instinct sexuel déviant.
La mise en garde que sa mère lui avait faite à l’âge de quatre ans lui revint soudainement très clairement à l’esprit, au point de l’entendre réciter ces paroles en boucle dans sa tête. « Ne laisse jamais un homme toucher à ton nombril avec sa bisoune parce que tu vas mourir. »
Lorsque l’acte répugnant fut terminé, son père l’avait averti de ne jamais dire à quiconque ce qui s’était passé! Sa maman la tuerait si elle apprenait ce qu’elle venait de faire!
Shelby passa le reste de l’après-midi à dormir. À son retour à la maison à l’heure du souper, sa mère alla la retrouver pour lui apporter la satanée bassine, et vit du sang dans le fond de la couche de la fillette. La petite était certaine que sa maman allait la tuer. Voyant la terreur dans les yeux de son enfant, elle ne l’a jamais questionné à ce sujet et la petite oublia presque instantanément ce qui lui était arrivé aux mains de son père.
À partir de ce jour, le comportement de la mère envers son mari avait grandement changé. Chaque fois qu’elle lui adressait la parole c’était avec mépris, comme si quelque chose était brisé à jamais dans le couple. Pour ce qui est de Shelby, elle passa le reste de sa vie à détester son père avec passion, et ce bien au-delà de sa mort, sans jamais vraiment savoir pourquoi, jusqu’à maintenant, alors qu’elle était profondément endormie dans son lit de camp à Parados.